Jin Goto
C'est comme si tu ne vivais que pour mourir
Informations générales

Nom : Goto
Prénom.s : Jin
Âge : 35ans et né le 02/01/2077 (j'espère que j'ai bien compté
)
Genre : Masculin
Origines : Japonais
Activité : Diplômé d'un master 2 en commerce - Kyodai dans la famille Yamaguchi-Gumi - Officiellement mécanicien automobile et propriétaire de son garage - Boxeur à ses heures perdues
Sexualité : Bousillée
Avatar : Shūichi Akai de Case Closed/Detective Conan - Artiste inconnu.
Règlement :
Chemin DC des familles
Autre : Je présente toutes mes excuses et mes remerciements au modérateur qui sera chargé de lire/corriger ma fiche
Pour le temps de prison, je me suis renseignée sur une la peine valable au Japon IRL en ce moment, j'espère que ça ira !
L'histoire contient des passages un peu violents, donc âmes sensibles, s'abstenir !
La bise à tous ceux qui auront la motivation de me lire jusqu'au bout !
Prénom.s : Jin
Âge : 35ans et né le 02/01/2077 (j'espère que j'ai bien compté

Genre : Masculin
Origines : Japonais
Activité : Diplômé d'un master 2 en commerce - Kyodai dans la famille Yamaguchi-Gumi - Officiellement mécanicien automobile et propriétaire de son garage - Boxeur à ses heures perdues
Sexualité : Bousillée
Avatar : Shūichi Akai de Case Closed/Detective Conan - Artiste inconnu.
Règlement :
Chemin DC des familles
Autre : Je présente toutes mes excuses et mes remerciements au modérateur qui sera chargé de lire/corriger ma fiche

Pour le temps de prison, je me suis renseignée sur une la peine valable au Japon IRL en ce moment, j'espère que ça ira !
L'histoire contient des passages un peu violents, donc âmes sensibles, s'abstenir !
La bise à tous ceux qui auront la motivation de me lire jusqu'au bout !
Histoire - Citation
4 ans - 2081
D’abord il y a eu la violence.
Des poings qui te martelaient le corps.
Du sang dans ta bouche.
Des os brisés et une douleur jusqu’à t’en fracturer le crâne.
Tu pouvais sentir sa haine comme si elle était… tangible.
Elle avait l’odeur de l’alcool et la couleur de la folie.
Tu entends encore sa voix dans ta tête.
Sa voix qui claque « Espèce de sale merde »
Sa voix qui résonne « Conduis-toi comme un Homme »
Il hurle si fort que tu l’entends encore en écho bien après qu’il ait quitté la pièce.
Parfois il y a d’autres hurlements.
Pas les tiens, non. Toi tu restes muselé dans la torpeur de ta souffrance. T’es au bord de tes larmes, à la frontière de les laisser éclater ton monde, rouler sur tes joues rougies par la honte. T’as trop peur pour crier. Tu restes silencieux en espérant qu’il t’oublie.
Il te n’oublie jamais.
C’est ta mère qui hurle.
Elle braille sans arrêt, et tu l’aimes, mais parfois t’en peux plus. T’as beau plaquer tes paumes contre tes oreilles et serrer très fort, ses cris te paraissent toujours plus bruyants.
Tu comprends mieux pourquoi Papa la regarde à peine.
Parfois toi non plus, tu peux pas la supporter.
5 ans
Les loups hurlent pour dire « Je suis là ».
Tu le sais parce que tu l’as lu dans un livre.
C’est sûrement pour ça que maman crie.
Pour te dire « Je suis là ».
Pour te dire « Tout va bien ».
Pourtant, du haut de tes cinq ans, tu comprends que quelque-chose ne va pas. Parfois quand papa frappe, t’as envie de crier toi aussi, de crier très fort tellement tu as mal.
Est-ce que maman hurle parce qu’elle a mal ?
Parfois, maman a la peau blanche, mais pas que. Elle a la peau bleue, et violette, et orange aussi. Quand tu y penses, tu te dis que maman est comme un arc-en-ciel de couleurs. Un peu comme toi, finalement.
Tout comme toi, même.
Alors tu demandes « Est-ce que toi aussi tu dois te comporter comme un Homme ? »
Elle secoue la tête et il y a comme un voile de tristesse autour de ses yeux. Ses traits sont tirés. Tu t’étais jamais fait la réflexion, mais maman a toujours un air fatigué ancré sur le visage.
Un air désespéré.
Elle ne répond pas à ta question.
Elle te dit « T’es un bon garçon, Jin ».
Et c’est peut-être vrai, que t’es un bon garçon, mais toi tu voudrais déjà être un Homme pour plus faire honte à Papa.
6 ans - 2083
Il avait frappé si fort.
Pas sur toi, non.
Pas sur toi.
Pas cette fois.
Tu aurais préféré parce que
Il avait frappé si fort et c’était de ta faute.
Tu restes calfeutré dans un coin de la pièce, et tu n’oses pas bouger alors que tu voudrais te ruer vers elle, la prendre dans tes bras, lui dire, lui dire, lui dire que tu l’aimes, que tu es désolé. Lui dire que tout est de ta faute.
Tu te souviens papa qui avait grondé sa haine, serré le poing comme s’il n’en pouvait plus de contenir sa rage.
Tu avais dit « Je suis un bon garçon, Papa ».
Tu avais dit « J’ai encore le temps de devenir un Homme ».
Tu l'avais dit parce que maman l'avait dit, et qu'alors, ça devait être vrai.
Il n’avait pas passé sa colère sur toi, ça non.
Tu te souviens qu’il avait quitté la pièce en claquant la porte, sa fureur visible jusque dans la crispation de sa mâchoire.
Maman avait fait une erreur, elle aussi.
Elle avait pris ton parti.
Elle avait dit « Laisse le grandir »
Elle avait dit « Il te rendra fier »
Tu te souviens qu’il n’avait plus contenu sa rage, après ça.
Elle avait éclaté.
Il l’avait frappée si fort, devant toi, sans te quitter des yeux.
Il voulait que tu vois, que tu saches.
Que c’était tes mots qui avaient causé ses poings sur son corps.
Il avait quitté la pièce sans un regard en arrière.
Il lui avait dit « T’as pas intérêt à crever », et il avait disparu.
T’arrives toujours pas à bouger.
Tu regardes la silhouette de maman sur le sol.
Il n’y a plus d’arc-en-ciel de couleurs sur son corps, ça non.
A la place il y a
Tout ce rouge.
Ce jour-là maman n’est pas morte, non.
Elle a survécu.
L’enfant qu’elle portait aurait dû s’appeler Chizu.
Quand on te le demande, tu dis qu'elle s'est blessée en tombant dans les escaliers.
6 ans - 2084
Plus tard
Plus tard
Maman ment souvent.
C'est difficile à concevoir pour toi, cette notion-là.
Tu ne sais pas vraiment mentir, toi.
Tu rougis, tu bégayes.
Tu fermes les yeux et tu baisses la tête pour ne plus qu'on te voit.
Maman, elle, n'a pas ces problèmes là.
Elle ment avec aplomb et panache.
Elle accompagne ses mots d'un sourire de dédain.
D'un éclat de rire.
Elle prend de haut, accuse.
"Mêlez-vous de vos affaires" qu'elle assène.
Le plus souvent, elle crache sur l'incontestable, elle crache sur son mari.
Elle dit "Qui ne hurlerait pas de voir cette face de con tous les jours ?".
Elle ment même sur son apparence.
Elle se maquille si bien que chaque matin un ton blafard vient remplacer l'arc-en-ciel qui orne parfois son visage.
Parfois tu te demandes si elle ne serait pas un peu magicienne, ta maman.
Et puis faut dire, elle s'est mise au théâtre, aussi.
Elle joue dans des pièces dramatiques et organise parfois des répétitions à la maison, avec les voisins.
Ils comprennent mieux les cris, les hurlements qu'il y a parfois à la maison.
Des répétitions, qu'elle dit.
"Comment je peux briller si je ne m'entraîne pas régulièrement ?".
T'as envie de gerber, mais tu dis rien.
Tu te bouches les oreilles et tu restes enfermé dans ta chambre jusqu'à ce que tout le monde parte.
T'as l'impression que ce monde est aveugle.
Personne ne voit que la flamme s'est éteinte dans ses yeux.
7 ans - 2084
Tu luttes contre les larmes et tu sers tes petits poings minuscules si fort que tes ongles écorchent la paume de tes mains.
Il y a tellement de peine en toi.
Tellement de haine aussi.
Pourtant tu ne pleures pas.
Tu ne pleures pas parce qu’un Homme, ça ne pleure pas et que t’as bien compris la leçon.
T’es pas un bon garçon.
T’as pas le temps pour ça.
T’en as envie, pourtant. Tu ne comprends pas.
Tu ne comprends rien.
Tu dis « S’il te plaît, maman, on pourrait partir, rien que tous les deux »
Tu dis « Je prendrai soin de toi ».
Tu dis « Je serai un Homme pour toi ».
Tu supplies mais tu vois déjà sa réponse dans ses yeux ternes.
Elle dit « Il va se calmer »
Elle dit « Il se calme toujours »
Pour toi c'est que des excuses sous lesquelles enfouir sa faiblesse.
Tu comprends pas encore que c’est plus compliqué que ça.
Qu’au Japon, le quitter c’est mourir, et que si, malgré tout, rester aussi, c’est peut-être un peu plus tard.
9 ans - 2086
Il y a en toi comme un grondement sourd.
Ce grondement est permanent.
Du plus loin que remontent tes souvenirs, il a toujours été là, dans un coin de ta tête. Il était pernicieux parce qu’il te faisait poser sur le monde un regard sauvage, acariâtre.
Un regard plein de haine.
Tu as neuf ans et ce monde, c’est déjà trop pour toi.
Tu te sens si seul, oppressé, engoncé dans la douleur de tes secrets, qu’un rien fait exploser la violence qui sommeille en toi.
Un cri de trop, une insulte, un visage qui ne te revient pas, un sourire qui t’es destiné et te voilà qui frappe dans la mêlée.
Parfois tu laisses leurs coups pleuvoir sur toi, te marquer encore plus que tu ne l'es déjà.
C'est plus facile comme ça. Plus facile de justifier tes blessures.
Un enfant perturbé, qu’ils disent.
Turbulent.
Hyperactif.
Tu as envie de hurler.
De faire mal comme on te fait mal.
T’as pas vraiment d’amis. On te regarde toujours de travers, avec crainte, rancoeur.
Tu as neuf ans et ce monde ne veut déjà plus de toi.
10 ans - 2087
Tu sens une main se poser sur ton épaule et tu sursautes violemment.
Des doigts enserrent ta clavicule sans te faire mal.
Il dit « Ma famille va venir à la maison ».
Il dit « Tu diras bonjour puis tu resteras dans ta chambre ».
Il dit « Je sais que tu ne me feras pas honte ».
Il dit « T’es un Homme maintenant ».
Il était presque fier d’apprendre que t’avais encore tordu le bras d’un gamin à l’école.
Tu l’avais vu dans ses yeux, et t'avais recommencé. Tu ferais tout pour sa fierté.
La pression de sa main s’intensifie sur ton épaule. Cette fois il te fait mal.
C’est une mise en garde.
Un test.
On sonne à la porte. Papa reste en arrière avec toi. C’est maman qui ouvre.
Elle a la main qui tremble et le corps tout crispé.
Parfois tu la détestes d’être aussi faible.
Deux hommes entrent.
Ils ont une carrure de géant, un visage dur et portent tous deux un costume trois pièces sur-mesure.
Papa a l’air heureux et tu détestes ça.
Tu restes stoïque, tes mains moites collées le long de ton corps.
Tu n’avances pas d’un pas, tu ne dis pas un mot.
Tu voudrais disparaître.
Papa a dit que c’est sa famille, mais t’y crois pas vraiment.
Ils ont la peau presque basanée, alors que toi t’es aussi pâle que le cul de la crémière d’en face.
Papa sert ton épaule encore plus fort, mais tu ne cries pas.
Tu ne cries jamais.
Tu hoches la tête, la bouche pincée.
Tu murmures des mots chaleureux d’une voix monocorde alors que tu voudrais leur hurler de quitter ta maison.
D’arrêter de faire peur à ta mère qui n’arrête pas de trembler, de trembler et de trembler.
Papa relâche ton épaule.
Il s’avance vers les hommes avec plus de déférence que tu n’en as jamais vu en lui et il
Il sourit.
Tu quittes la pièce avec maman, non sans un regard en arrière.
Tu l’entends jurer entre ses dents, si bas que tu n’y comprends rien.
Au milieu de sa phrase tu repères pourtant distinctement le mot « Yamaguchi ».
Mais à cet âge, quelle importance ?
Tu oublies le mot aussi vite qu’il est entré dans ta vie.
11 ans - 2088
Maman ne te regarde plus pareil.
Elle pose sur toi des yeux brûlant d’un sentiment que tu ne parviens jamais à identifier.
Pourtant, elle passe toujours sa main dans tes cheveux courts.
Elle embrasse toujours ton front quand il est l’heure de s’endormir.
Elle te murmure toujours des « je t’aime » qui font battre ton coeur un peu plus vite.
Tu as l’impression qu’il y a plus de force en elle. Moins de désespoir.
Il y a quelque chose de dur qui luit dans ses prunelles, quand elle ne sait pas que tu la regardes.
Quand elle se décide enfin à te parler, elle murmure tout bas « Quand tu n’as pas la force pour lutter tu apprends que toutes les armes ne se ressemblent pas ».
Quelques jours après, elle te traîne dans le sous-sol d’une école désaffectée.
Tu y découvres un nouvel univers fait d’un ring, de gants rouges et de K.O.
Tu t’émerveilles devant ces jeunes garçons qui esquivent, se dégagent, ripostent.
Et puis, il faut le dire, t'es un peu soulagé aussi. Soulagé d'avoir enfin une excuse valable pour justifier tous tes bleus. T'en avais marre de toutes leurs questions, t'en avais marre de tous tes mensonges.
Tu les notais tous dans un carnet pour éviter de te contredire.
Maman te dit « S’il t’apprend la haine, je te donnerai l’amour ».
Elle dit « S’il t’apprend la violence, je t’apprendrai à la canaliser ».
Puis elle murmure d’une voix si basse que tu peines à l’entendre « Personne ne fera de mon fils un monstre ».
C’est à ce moment précis que tu comprends.
Ce n’est pas toi qu’elle ne regarde plus pareil.
C’est le monde.
12 ans - 2089
Tu n’entends plus Maman hurler.
Tu vois encore sur son corps la preuve que les coups continuent, mais ils sont moins nombreux. Moins prononcés. Ils ne sont plus sur ses bras, sur son ventre, mais sur sa gorge, sur ses hanches.
Parfois elle a l’air d’avoir mal quand elle s’assoit, mais quand tu fronces les sourcils, quand tu ouvres la bouche pour délivrer ta colère, elle te lance ce regard si doux, si apaisant, ce regard qui dit « tout va bien », que tu acceptes de te taire. Tu fais comme si tu ne voyais rien et ça te donne l’impression que ton silence vaut acceptation.
Tu te sens si sale à l’intérieur.
Il y a quelque-chose qui change, et tu ne parviens pas à le comprendre.
A peine à le percevoir.
Papa sourit plus souvent.
Il lui sourit plus souvent.
Il commence même à te féliciter, à t’encourager.
Tu as commencé le collège, cette année.
Le premier trimestre t’a permis d’affirmer tes compétences scolaires. C’est plus facile depuis que tu canalises ta violence, qu’elle ne te submerge plus aussi fort qu’avant.
Elle est toujours là, bien sûr. Et tu sais déjà qu’elle le sera toujours.
Mais il y une différence.
Elle ne te domine plus, ne te soumet plus.
C’est comme si tu parvenais enfin à danser sur le fil de ta fureur, équilibriste de tes sentiments.
Papa pose une main sur ton épaule.
Il dit « C’est bien mon fils, ça »
Il dit « Un Homme »
Tu souris mais
Sur ton corps aussi tu peux voir la preuve que les coups continuent.
Et sur ta peau à toi, elles sont toujours aussi nombreuses.
Aussi prononcées.
14 ans - 2091
Deux ans plus tard, tu comprends ce qui a changé pour Maman.
Tu comprends pourquoi les marques ne sont plus aussi fortes, plus au même endroit.
Pourquoi Papa sourit.
Tu comprends parce que tu le vois de tes propres yeux.
Il est tard quand tu rentres chez toi, ce soir-là. Tu fais à peine un pas dans la maison que tu entends des cris inarticulés, comme étouffés.
Tu montes les escaliers quatre à quatre, la rage aux poings.
Cette fois, quoi qu’elle en dise, tu vas le tuer.
Le frapper jusqu’à ce qu’il te supplie, cogner jusqu’à voir son sang bousiller la moquette de sa chambre.
Tu vas le tuer.
C’est ce que tu te dis en marchant calmement vers la pièce d’où émanent les bruits. C’est ce que tu te dis en ouvrant silencieusement la porte.
Quand ton cerveau enregistre la scène qui se déroule devant tes yeux, tu
Plus rien.
Tout est vide. Tout est froid.
Elle ne te voit pas mais
Lui il te voit.
Il te voit et il ne te quitte pas tes yeux pendant qu’il
La pénètre profondément en l’étouffant presque d’une main
Pendant qu’il
Broie ses hanches de l’autre
Tu ne peux pas en détacher ton regard, tu es happé, horrifié et tu
Ses doigts serrent si fort et
Elle a l’air de lutter pour respirer et tu
Recules
Recules si vite, aussi silencieusement que possible
Il ne te quitte pas des yeux et
Tu te rues aux toilettes pour vomir, comme si tu voulais recracher ces souvenirs qui s’ancrent déjà au fer rouge dans ta mémoire.
Il y a tellement de haine en toi.
15 ans - 2092
Tu ne regardes plus les femmes de la même façon.
Les hommes non plus.
Tu regardes leurs mains comme des armes de destruction massive. Leurs corps comme un champ de bataille.
Tout te dégoûte.
Ce monde te dégoûte.
Tu frappes encore plus fort sur les sacs de boxe.
Tu bouges tes pieds encore plus vite, esquives davantage.
Le coach t’autorise à combattre pour la première fois.
Tu perds.
Mais tu gagnes autre chose.
L’humilité, la ténacité.
La certitude que tu veux continuer encore et encore.
16 ans - 2093
Parfois tu te sens brisé à l’intérieur, comme s’il manquait un morceau de toi.
Que tu étais destiné à être incomplet.
Cette année-là est comme les autres.
Remplie d’un vide insurmontable.
Il y a ces regards dans ton dos, ces rumeurs qui continuent de te poursuivre comme si elles te collaient à la peau.
Même au lycée rien ne change.
Rien ne semble changer.
On te craint toujours.
On te craint même davantage parce que
Tu es grand et fort et monstrueux.
Tu peux presque sentir leur peur, toucher du bout des doigts la panique qui semble éclore en eux chaque fois que tu croises leur regard.
Tu la connais par coeur.
Tu ressens la même à la maison.
Tu as toujours été sensible aux émotions. Surtout à celles des autres. Tu perçois le moindre changement dans une attitude, la moindre variation dans un sourire.
Pour toi, c’est presque devenu une question de survie.
C’est pour ça que c’est étonnant, étrange, incongru, que tu ne les aies pas devinés avant, ces regards un peu différents des autres. Ces regards qui ne te craignaient pas mais qui
Te jugeaient en silence.
Analysaient le moindre de tes mouvements, chacune de tes paroles.
Ces regards qui demandaient « Est-il à la hauteur ? »
Et ça oui, tu l’étais.
L’année était déjà bien avancée lorsque tu as enfin découvert leur origine.
Ils étaient grands, et forts et monstrueux.
Comme toi, mais plus âgés, plus vicieux, plus féroces.
Pourtant, ils ne te ressemblaient pas vraiment, non.
Ils étaient encore pire.
Plus grands, plus forts, plus monstrueux.
Alors quand ils t’ont tendue la main, tu n’as pas hésité.
Tu l’as saisie, un grand sourire aux lèvres.
16 ans - Un peu plus tard
Tu vois bien que tout file pas droit, mais t’en as rien à foutre.
Leur différence, tu l’acceptes à bras ouverts. Pour la première fois de ta vie tu peux te définir comme appartenant à un groupe, à une famille, à une communauté.
Oh elle est petite cette famille, mais ça te suffit.
Tu peux les accepter, tous leurs mensonges, toutes leurs cachotteries, tant qu’ils te permettent de te construire une identité, d'exister à travers eux.
Au fond, tu les aimes pas vraiment. On peut même dire que tu les méprises, juste un peu moins que d'autres.
Pour toi, tout est toujours une question de gradation de ta haine.
Tu ne poses pas de questions parce que c’est pas la bonne manière pour obtenir des réponses. Il faut gagner leur confiance par le silence, le soutien, par une présence ineffable, indiscutable. Et t’es fort à ce jeu-là toi.
T’es vraiment très fort.
Faut dire que t’as appris jeune à la fermer, à écouter, à deviner les attentes des gens et à les devancer. Ces gars-là sont intelligents, pour sûr, mais pas plus que ton père. Lui avait toujours été pernicieux, vicieux, méchant, une main de fer dans un gant de velours qu’il n’avait jamais hésité à ôter pour t’exploser la mâchoire.
Pour survivre il te suffit de t’inspirer de lui, et tu le fais. Même si ça te dégoûte, même si ça te laisse une trace turpide dans le coeur, comme un poison sinueux qui allait continuer sa route jusqu’à tâcher ton âme.
Et comme prévu, ils commencent à te faire confiance, ça oui. D’abord par des mots lâchés ici, ou là, comme par erreur, comme s’ils s’étaient suffisamment détendus en ta présence pour en oublier de préserver leurs secrets.
Mais t’es pas dupe, toi. Tu sais bien, tu devines bien que tout est calculé, qu’une fois encore ils analysent chacune de tes réactions. Tu peux presque sentir un couteau sous ta gorge et ça te rend heureux.
Ça te fait plaisir.
Ça te fait du bien.
Ils emploient toujours des mots détournés, des phrases alambiquées, ils ne parlent sérieusement que lorsque vous êtes seuls, ou qu’ils pensent que vous l’êtes et ils ont beau être plus intelligents que d’autres, quand tu comprends de quoi il retourne, tu ne peux pas t’empêcher de remarquer leurs erreurs, de critiquer en silence.
Au début tu ne t’impliques pas. Tu te contentes d’écouter, de les laisser parler devant toi. Parfois tu proposes des alternatives quand tu sens qu’ils ne vont pas dans la bonne direction, mais tu n’interviens pas plus que ça, non.
Tu préfères laisser grandir leur confiance, leur faire croire que c’est eux qui décident de t’intégrer davantage. Ils auraient fini par le faire, sans aucun doute, mais peut-être pas aussi vite.
Finalement, ça ne fait que six mois que tu les côtoies lorsqu’ils te proposent de faire ta première livraison.
17 ans - 2094
Papa se doute de quelque chose.
Tu le vois dans ce regard qu’il pose sur toi, dans la maigre variation de la position de ses rides.
Il sait.
Tu ne sais pas comment exactement, mais cette certitude est comme ancrée en toi : il sait.
Le plus effrayant, ce n’est pas vraiment qu’il parvienne à toujours tout savoir de toi, à tout deviner comme si t’étais qu’un putain de livre ouvert à la bonne page.
C’est qu’il en a l’air heureux.
Tellement heureux qu’il ne parvient même pas à camoufler ses sourires narquois, tellement heureux que tu peux presque entendre les rouages de son cerveau remuer à 1000 à l’heure et l’entendre hurler « mon fils, cet Homme ».
Pourtant t’as toujours pas l’impression d’en être un.
T’es qu’un lâche qui n’en finit pas de fuir son regard, de changer de pièce dès que vous vous retrouvez seuls tous les deux.
Heureusement, t’es plus si souvent à la maison. Tu passes le plus clair de ton temps avec eux, quand t’es pas au lycée.
Ils ne te font toujours pas pleinement confiance. Tu le sais parce que tu sens qu’ils te cachent des informations, comme si tu devais encore faire tes preuves.
T’es presque impressionné parce que
Ils sont grands, et forts, et monstrueux.
Dans les histoires, c’est pas vraiment à eux qu’on confie les meilleures capacités cérébrales.
Tu vis pleinement l’instant présent, mais parfois tu peux pas t’empêcher de t’inquiéter pour l’avenir. Ils sont plus âgés que toi, et t’as presque peur de te retrouver seul à la fin de l’année scolaire.
C’est à ce moment-là qu’ils te le disent pour la première fois, le mot qui change tout.
Yamaguchi-gumi.
Et ça résonne en toi parce que
T’es persuadé que c’est pas la première fois que tu l’entends.
Ils te disent qu’ils n’en font pas partie.
Pas encore.
Qu’ils sont trop jeunes, trop inexpérimentés, que ça se gagne une chance pareille, mais qu’ils aimeraient bien. Qu’ils ne sont que des pions, qu’un maillon de la chaîne. Qu’ils ont des contacts, mais aucune certitude. Qu’on leur dit pas grand chose.
Au cas où. Toujours au cas où.
Moins on en sait, moins on représente une menace.
Ils te disent que si tu veux reculer, il est encore temps.
Tu sens le mensonge dans leurs mots comme un poison acerbe.
Tu sais bien que si tu les laisses tomber ils t’arracheront la langue pour toute mise en garde, rien que pour s’assurer que tu emportes leurs secrets dans ta tombe.
Mais ils n’ont pas besoin de ça avec toi, non. Pas besoin de mises en garde, pas besoin de menaces.
T’as encore jamais reculé de ta vie alors
Tu fais un pas en avant.
17 ans - En parallèle
T’es rarement seul et parfois ça te pèse. Ton coeur devient si lourd en toi, si pesant que tu voudrais l’arracher de ton abdomen pour l’écraser. Peut-être que tu souffrirais moins si t’étais complètement vide.
Alors tu frappes, fort.
Tu esquives, recules, avances, sautilles, tu te manges un poing qui passe au travers de ta garde laissée délibérément ouverte jusqu’à frapper ta sale gueule et tu rends le moindre coup, la moindre blessure comme si ce qui avait été touché c’était pas ton corps mais ta dignité.
Tu deviens très bon, mais même ça, parfois, c’est pas suffisant.
Même la douleur, même le goût du fer dans ta bouche, même la vision d’un adversaire tordu par la douleur sur le sol du ring ne peuvent rien contre ton néant.
C’est un de ces jours trop brumeux, trop poisseux, un de ces jours où tu peines à vivre que tu te retrouves à trousser une pute dans une ruelle dégueulasse, à te vider en elle comme si tu pouvais y laisser toute ta rancoeur, ta haine et ta folie.
Elle ne te quitte pas des yeux, comme si s’ancrer à toi pouvait l’aider à te survivre. Ça te met mal à l’aise, comme si elle t’accusait. T’as envie de l’étrangler, de l’écraser, de pulvériser son corps trop fin. Un maelström de souvenirs t’opprime l’abdomen.
Pourtant, tu jouis si vite et si fort que ça explose sous ton crâne.
Tu te sens si sale.
Tu lui laisses bien plus qu’elle ne t’en avait demandé, comme si tu cherchais à racheter tes fautes, à compenser ce qu’il te restait de dignité et qui vient de se perdre entre ses cuisses menues.
Elle part sans même un regard en arrière, et tu lui en es presque reconnaissant. T’aurais pas voulu l'affronter une dernière fois.
Il y a quelque chose qui bourdonne sous ton crâne. C’est lancinant, douloureux, ça remonte en toi par vagues et il n’en faut pas plus pour que tu te mettes à vomir à même le sol. T’en fous partout, jusque sur tes godasses blanches. Tu te frottes le corps comme si c’était toi qu’on venait de souiller.
Il n’y a plus aucune force en toi.
Plus rien du tout.
Et puis une voix claque, forte, dure mais chaleureuse.
Elle dit « Quel spectacle affligeant tu offres à mes vieux jours, mon garçon ».
Elle dit « J’espère au moins que c’était un bon coup ».
Tu sens deux mains qui s’enroulent autour de toi et qui te traînent sans ménagement.
T’as même pas la force de lutter.
Il pourrait bien te découper en morceaux que tu ne te défendrais même pas.
Parfois tu te dis que tu ferais mieux de crever.
Tu manquerais à personne, et tu débarrasserais ce monde d’un connard de plus.
Mais t’es trop égoïste pour ça, ouai. Ou trop flippé.
Tu reviens souvent le voir parce qu’il a quelque chose de différent.
Il n’est pas grand et fort et monstrueux.
Il est petit, musclé et bienveillant.
Chaque fois que tu pénètres dans son garage, il sourit. Il y a toujours une drôle d’odeur dans l’atmosphère, et un martèlement incessant qui te vrille le crâne comme un marteau-piqueur, mais ça t’importe peu.
Il te tend toujours une clef à molette avec une moue légère sur les lèvres, l’air de dire « Si t’es ici gamin, alors rends-toi utile ».
Sa voix est caverneuse, mais elle a quelque-chose de réconfortant.
Chez lui, tu te sens à la maison.
18 ans - 2095
T’es tout seul, maintenant au lycée. C’est là que tu te rends compte que t’avais perdu l’habitude. Que ça t’allait bien de rejeter la solitude, d’avoir des gens sur qui compter, même si c’était qu’un sentiment factice.
Tu sais bien, au fond, qu’on ne peut compter que sur soi-même.
Tu les vois toujours, bien sûr. Mais c’est différent. Tout est différent.
Tu fais toujours des livraisons, plus régulièrement, et pour de plus gros clients. On te confie des quantités toujours plus importantes. Ça te fait du bien, cette confiance, mais tu prends pas la grosse tête. Tu prends toujours garde à ne pas en avoir trop sur toi, quitte à faire plusieurs allers-retours d’une planque à une autre, parce que t’as parfaitement conscience que si tu te fais prendre, t’es bon pour la prison. Ça te fait pas tellement peur, mais t’es pas idiot non plus. T’en as des dizaines des cachettes, partout dans la ville. T’hésites pas à partager ton cachet pour de bonnes informations, à payer des prostituées pour fait le guet.
Ce sont elles que tu détestes le moins, à porter leur misère sans fard, avec une fierté presque palpable.
T’es devenue une anguille, t’es imprenable.
T’es bon pour fuir, pour repérer les dangers. Très bon même.
Si bon que ça remonte aux bonnes oreilles.
T’es jeune, très jeune. Mais quelle importance si t’es déjà un atout ?
Un soir ton père pénètre dans ta chambre. Il reste sous le chambranle de la porte, comme s’il attendait ta permission pour avancer davantage.
T’es trop étonné pour parler, presque sous le choc.
Ton père n’a jamais demandé la permission à qui que ce soit. Il se contente de prendre, de s’approprier ce qui lui fait envie.
Il dit « Il faut qu’on parle »
Il dit « Tu commences à savoir certaines choses maintenant ».
Tu hoches la tête parce que t’es pas si con. Bien sûr que t’en sais des choses. Tu les as devinées avec le temps quand on ne te les as pas dites.
Il dit « Toi aussi tu pourrais faire partie de la famille, si tu continues comme ça »
Il dit « Les gens qu’il faut commencent à connaître ton nom »
Il dit « Un bon sang crée toujours une race solide »
Il s’attribue tes mérites à demi-mots, et ça t’emmerde tellement fort que ta peau de démange.
Tout ce que tu as, c’est à toi que tu le dois, et à personne d’autre.
C’est ta seule fierté, et tu la protèges comme ta propre vie.
T’as envie qu’il se barre, qu’il te laisse en paix. Ça te fout les boules de savoir qu’il est déjà à la place que tu convoites et que c’est sans doute un peu grâce à lui que les gars t’ont approchés pour la première fois.
Et pendant qu’il te parle, qu’il parade avec son arrogance et son mépris, tu te jures que rien ni personne ne t’empêchera de le surpasser, d’être de ceux à qui il devra obéissance un jour.
Il reste encore un peu avec toi et tu te fais violence pour pas le pousser en dehors de ton intimité. Tu sais qu’il peut lire la sauvagerie dans ton regard, mais il ne cille même pas.
Peut-être que tu pourrais le battre maintenant. T’es jeune, mais le coach te dit toujours que t’as du talent, que t’es une pierre brute. Qu’il faut encore te polir, mais qu’avec de la patience et de l’entraînement, il pourrait bien faire de toi un diamant.
Alors t’attends ton heure, ça oui.
T’attends ton heure.
19 ans - 2096
L’université, ça t’emmerde. T’as l’impression de perdre ton temps. Tu étudies le commerce pour avoir un diplôme. Au fond les techniques de vente et de négociation, t’en as pas vraiment besoin. T’apprends sur le tas. Et puis c’est pas comme si t’allait avoir besoin d’un tampon sur un morceau de papier pour trouver un travail.
Le vieux Takeru t’as déjà promis de te céder son garage pour une modique somme. T’as rarement été aussi heureux que ce jour-là.
Il t’avait dit « T’es comme mon fils tu sais »
Puis il avait dit « Rends-toi utile, gamin ».
Au fond t’étais heureux d’être encore un garçon pour quelqu’un, et pas encore un Homme.
Tu continues à l’aider comme tu peux, quand t’as le temps.
C’est difficile de tout suivre en ce moment.
Les cours, le garage.
L’apprentissage de six mois que tu viens de commencer.
C’est dur, vraiment dur.
Mais tu donnes tout ce qu’il reste de combatif en toi pour aller jusqu’au bout.
C’est pas qu’un rêve un peu flou pour toi, c’est déjà ta réalité.
20 ans - 2097
Il t’exaspère.
T’es amusé, quand même, mais il t’exaspère.
A fouiner là où il devrait pas, comme s’il en avait le droit.
Et peut-être qu’il l’a effectivement.
Qu’il l’a depuis qu’il t’a accueilli à bras ouverts sans jamais poser de questions, qu’il l’a depuis qu’il panse tes blessures lorsque tu surgis dans la pénombre, plus mort que vif, à des heures indues, sans même daigner le prévenir en avance.
Qu’il l’a depuis qu’il se conduit comme un père bien davantage que celui que tu appelles Papa.
Il te dit « Quand est-ce que tu vas me ramener une demoiselle, Gamin ? »
Il te dit « Ou un garçon d’ailleurs, c’est pas moi que ça rebuterait ces choses-là ».
Takeru a été marié à un homme pendant 15 ans. Il n’en parle pas beaucoup, mais tu devines dans ses yeux que ça le hante encore.
Tu dis « Crois-moi Papy, il est pas encore né celui qui s’introduira dans une partie de mon anatomie »
Il rit de ce son clair et chaleureux que tu affectionnes tant.
Il rit comme s’il savait quelque chose de plus que toi.
Il n’y a qu’avec lui que ta colère se calme, que ta haine s’adoucit.
Il dit « C’est que je ne t’ai jamais vu en charmante compagnie depuis… »
Il n’ajoute rien et son sourire se fendille un peu. Tu sais qu’il n’est pas dégoûté, qu’il s’inquiète pour toi.
A tort.
T’es assez grand pour t’occuper de toi.
T’as jamais voulu réitérer l’expérience depuis ta première fois.
Les putes tu les payes pas pour baiser.
Les autres femmes, t’oses même pas les regarder.
Chaque fois t’y vois ta mère le cul en l’air, ses grands yeux presque morts sous les mains de ton père.
Tu veux pas finir comme lui, ça non.
T’es encore trop effrayé par les sentiments trop crus que t’avais ressenti, ta queue enfoncée jusqu’à la garde dans ce trou trop usé.
Alors tu touches personne ça non.
Tu préfères pas prendre le risque.
20 ans
Tu renifles l’odeur de l’alcool à des kilomètres.
Tu entends son souffle trop lourd dans ton dos, tu sens sa main fendre l’air avant même qu’elle ne te touche, qu’elle ne te heurte.
Il est en colère et tu comprends pas trop pourquoi.
Ça n’a pas vraiment d’importance.
Tu sais que c’est l’alcool qui parle et qu’en lui, l’alcool est roi.
Tu fais enfin partie de la famille, pourtant, et il aurait dû être fier.
Tu n’as jamais ressenti autant d’humilité, autant de déférence qu’au cours de la cérémonie d’intronisation, lorsque l’Oyabun a posé son regard sur toi.
Quelque-part, tout au fond de toi, enfui profondément avec les restes du petit garçon que tu aurais dû être, tu aurais aimé qu’il se réjouisse avec toi.
Mais non.
Mais non.
Il frappe si vite qu’il te faut une seconde pour te ressaisir.
Une seconde qui te coupe le souffle tant la douleur dans ton ventre te saisit les entrailles.
Mais t’es plus un enfant, non. Plus un gamin.
T’es un homme maintenant alors tu frappes, toi aussi. Tu frappes comme si c’était tuer ou mourir.
Il t’agrippe par la gorge, serre.
Il dit « Ils disent tous que t’es un garçon prometteur »
Il hurle « J’comprends pas pourquoi je suis le seul à te voir comme la sous-merde que t’es réellement »
Il crache « La seule chose de bien en toi c’est mon sang qui coule dans tes veines ».
Tu fulmines, enrages.
Tu vises la pliure de son coude pour qu’il te lâche, et tu reprends le jeu en main.
Tu esquives, plonges, frappes.
T’es fort pour ça. Plus jeune, plus rapide.
Il a la gueule en sang, le nez de travers, mais il rit quand même, il rit encore alors qu’il perd ce combat, que tu prends le dessus.
Il rit et ça te fait froid dans le dos.
Il dit « C’est pas grave si j’peux plus me défouler sur toi ».
Il dit « Y’a encore ta mère ».
Tu ne peux même pas décrire l’effroi qui te traverse, la peur, la douleur, ce sentiment d’être oppressé, prisonnier, de ne pas avoir le choix. Ce sentiment qu’il te tient encore par les couilles, aussi fort que quand t’avais 6 ans.
Tu baisses les bras.
Tu baisses les armes.
T’abandonnes parce que même si t’arrives plus à la regarder en face, ta mère, tu continues à la protéger, à l’aimer à ta manière un peu tordue, un peu à côté.
Tu te laisses tomber au sol et tu le laisses faire.
Il ne t’a jamais atteint si fort que ce jour-là.
22 ans - 2099
Maman te caresse la joue.
Elle a retrouvé cet air fatigué, désespéré, qui la caractérisait si bien quand tu étais enfant.
Perdue, sa force, son courage. Elle a vieilli, et avec elle sa fougue, son entêtement. Peut-être même sa dignité.
Le contact de sa main te réveille, mais tu ne bouges pas d’un cil.
T’es toujours pas capable de l’affronter.
Elle vient régulièrement dans ta chambre pendant que tu dors.
Comme si elle cherchait à maintenir votre relation brisée bien trop tôt, sans même qu’elle ne comprenne pourquoi.
Elle te murmure ses secrets, ses espoirs.
Elle te raconte ses rêves éteints, ses espoirs étouffés par ton père.
Elle ne se rend sûrement pas compte qu’elle alimente ta rancune, ta brutalité, ton animosité.
Ou peut-être bien que si.
Peut-être qu’elle s’en rend compte et qu’elle cherche à t’utiliser, elle comme tous les autres, pour se débarrasser de ses propres afflictions.
Elle est fragile, si frêle qu’on ne serait pas étonné de la voir ployer sous un simple coup de vent.
Et pourtant, pourtant elle résiste jour après jour à un ouragan depuis des décennies.
Qui sait de quoi elle est réellement capable ?
Certainement pas toi.
24 ans - 2101
Te voilà diplômé d’un master en commerce.
Enfin.
Tu laisses tes études derrière toi avec une joie non dissimulée.
Takeru te fait signer un vrai contrat de travail, cette fois-ci. A mi-temps seulement.
Le reste de ton temps, tu le consacres à la famille.
Tu ne fais plus vraiment de livraisons. Tu laisses ça aux bleus, aux jeunes qui cherchent à rentrer dans la famille, comme toi avant eux. Tu t’occupes de la partie logistique, trouves de nouvelles planques pour la drogue, maintiens et agrandis ton réseau d’information.
T’es toujours aussi bon.
Plus les mois passent, plus tu rapportes de l’argent.
Tu cherches constamment à monter plus vite, plus haut, sans craindre la moindre chute.
Tu rêves du jour où tu seras d’un rang égal à celui de ton père, un Kyodai, un grand frère.
Tu rêves d’être reconnu toujours plus par l’Oyabun et les lieutenants, qu’on reconnaisse ta valeur.
Les autres Shatei cherchent à se rapprocher de toi, et tu les laisses faire. Tu sais que tu dois être inclus, respecté par les autres. Que tu dois te faire des alliés.
Pourtant tu les détestes tous, les méprises tous.
Tu souris sans y croire, chambres sans ironie.
Même tes éclats de rire sont faux.
T’es devenu un maître dans l’art de camoufler ta véritable personnalité.
25 ans - 2102
Tu sens une main sur ta nuque, une autre qui relève ton coude jusqu’au milieu de ton dos.
Tu ne répliques pas. Tu n’esquives pas. Tu ne cries pas.
Tu laisses faire.
Tu retiens ta fureur, tes mots acerbes, tes coups hargneux.
Tu sais pourquoi t’es là et tu veux pas leur laisser la moindre chance d’allonger ta peine.
D’ordinaire, tu ne te serais jamais fait attraper par les flics. T’es trop malin pour ça.
Cette fois-là, l’organisation de l’échange reposait sur un grand-frère.
Tu connaissais les règles et t’avais pas moufté.
En théorie, tout aurait dû bien se passer.
En théorie.
T’avais été averti in-extremis de l’arrivée de la police par une de tes contacts et cette légère avance t’avais permis de faire disparaître la moindre trace du stock que vous veniez de récupérer.
Impossible donc de t’impliquer pour trafic de drogue.
Le grand-frère était resté avec toi jusqu’au bout pour superviser le nettoyage de l’entrepôt.
Lorsque la voiture des flics avait débarqué, il avait blêmi avant de t’avouer qu’il avait conservé du cannabis sur lui pour en consommer plus tard.
C’était pas bien vu, pourtant, au sein de la famille, de consommer la marchandise.
A une époque, c’était même une des neuf règles à respecter, et même si elles n’étaient plus aussi respectées, tous connaissaient les conséquences potentielles d’une telle erreur.
T’avais hésité quelques secondes puis juré comme un charretier avant de le délester de la marchandise et de te mettre à courir dans une autre direction.
Il avait fait une erreur, mais quoi qu’il t’arrive, il se souviendrait de l’aide que tu lui avais apportée.
Pourtant t’avais beau être rapide, contre une voiture tous gyrophares allumés, tu faisais vraiment pas le poids.
T’en es là maintenant, avec cette main sur ta nuque et l’épaule presque déboitée.
T’en es là mais t’es pas vraiment inquiet.
Tu plaides coupable pour détention de drogue.
Tu prétends que tu t’étais caché seul dans un entrepôt pour consommer puis tu ne prononces plus un seul mot.
T’es condamné pour quatre ans de prison ferme.
26 ans - 2103
La prison, c’est pas une partie de plaisir.
A ton arrivée, t’es complètement dévêtu. On passe au crible la moindre parcelle de ton corps pour vérifier que t’as rien emporté avec toi.
Tu pensais pas que ce serait aussi difficile, mais quand on y pense, c’est la première fois que quelqu’un te voit nu depuis ta mère, y’a déjà presque 20 ans.
Tu détestes te dévoiler ainsi, sentir leurs regards peser sur ton corps.
Si c’est si dur, c’est parce que chacune des marques qui y est incrustée dévoile les prémices d’un secret que tu n’aurais jamais avoué à voix haute.
Tu te sens si faible, comme à leur merci, alors tu gardes un regard sévère, impénétrable, tu prétends que rien ne t’affecte, que t’entends pas leurs moqueries ridicules.
Ton compagnon de cellule est bien plus vieux que toi. Tu le détestes à la seconde où tu croises son regard, mais ça n’a pas d’importance. T’as même pas besoin d’être factice avec lui, parce qu’il décide immédiatement qu’il aime ton caractère écoeurant et ta colère outrancière.
Tu t’en fais un allier et il t’aide à te faire une place en prison, à être respecté, à éviter les mains baladeuses des plus fous d’entre eux.
Parce qu’il y en a beaucoup ici, des plus grands, des plus forts et des plus monstrueux que toi.
Il y en a beaucoup ici, qui te trouvent à leur goût.
Tu ne comptes plus le nombre de fois, au début, où t’as senti des corps se frotter contre toi, des mains empoigner tes hanches.
Ils ont vite compris le message.
Clair et limpide.
On ne te touche pas.
Takeru vient te voir souvent.
Il te dit que ça fait rien que tu sois là, que ça change pas grand chose pour lui, que t’es son fils quand même, et que quoi qu’il arrive, tu le resteras. Qu’il peut bien continuer d’user ses vieux os pour te garder le garage, le temps que tu sortes.
Qu’il n’y a personne d’autre à qui il fait suffisamment confiance pour le vendre, de toutes les façons.
Il ponctue chacune de ses visites par un « Rends-toi utile, Gamin », comme si tu pouvais vraiment faire quoi que ce soit d’utile dans ce trou à rat, et tu peux jamais t’empêcher de sourire, parce que c’est la seule personne dans ce monde que tu ne méprises pas du tout.
Peut-être même que tu l’aimes, un peu.
28 ans - 2105
C’est long, deux ans.
C’est long et t’en as encore deux autres à taper.
T’as rencontré d’autres Yamaguchi-Gumi, emprisonnés, comme toi.
Faut dire que même en prison, les familles ont leur importance.
Peut-être même encore plus qu’ailleurs.
Au fond pour toi, la prison c’est pas différent du dehors, c’est juste un plus exigüe.
Tu manques à personne, et personne ne te manque.
Tu sais que ces années ralentissent probablement ton avancée au sein de la famille, mais tu suis le conseil de Takeru. Tu te rends utile. Tu te construis un nouveau réseau d’influence, inter-familial comme extra-familial. Tu ne négliges rien. Aucune animosité, aucune alliance.
T’es dans une bulle un peu hors du temps.
Tu fais des erreurs, bien sûr.
T’es encore jeune, et puis t’es rien de plus qu’un petit frère qui met ses compétences au service de ses aînés, mais quand même. Tu t’assures qu’on connaisse ton nom, que ceux qui ont des contacts avec l’extérieur continuent de parler de toi. Tu t’arranges pour qu’on sache que t’es toujours là pour la famille, ça oui.
Que t’as pas fini de leur montrer les manières dont tu peux être utile.
30 ans - 2107
Quand tu sors de prison t’es pas une nouvelle personne ça non.
T’es toujours aussi pourri de l’intérieur, toujours aussi en colère.
Toujours aussi perdu.
T’as juste le bras un peu plus long.
T’es pas plus grand, mais plus fort, plus monstrueux.
Tu serres Takeru dans tes bras, mais pas aussi fort que tu le voudrais.
Il est plus tout jeune maintenant et faudrait pas lui briser l’ossature.
Tu reprends le garage, comme il l’avait promis et t’en fais rapidement une affaire plus lucrative. Il t’aide régulièrement, pour garder l’habitude. Ces jours-là tu le laisses reprendre l’affaire en main comme si c’était toujours la sienne parce que
Ça l’est toujours, quelque part.
Tu ne retournes pas vivre chez tes parents.
T’y es déjà resté suffisamment longtemps.
Tu prends un appartement juste au dessus du garage, plutôt grand, mais sans extravagance. T’es pas du genre à te complaire dans la richesse.
Tu retournes au club de boxe, le coach te charrie sur ta trentaine passée.
Tu lui prouves bien vite que tu t’es pas rouillé avec les années.
T’esquives ton père le plus possible, et tu rends visite à ta mère quand il est pas là.
Elle va étrangement bien.
Il n’y a plus vraiment de marques sur son corps.
Peut-être qu’il est devenu trop vieux pour ça.
Peut-être qu’elle a trouvé une nouvelle manière d’éloigner sa colère.
Parfois tu voudrais qu’elle chasse la tienne, aussi.
Seulement parfois.
Le reste du temps, tu te dis que si on te l’enlevait il ne resterait plus rien de toi.
T’es de ceux qui voudraient s’envoler mais dont on a arraché les ailes. Si on te libérait, tu ne pourrais même pas rejoindre le ciel.
Alors tu préfères vivre cloué au sol, entravé par ta rancoeur.
31 ans - 2108
Il en remet une couche, comme si ça n’avait pas été suffisant la dernière fois.
Il te dit « Gamin, c’est pas bon de rester seul tu sais »
Il te dit « Même si c’est que pour un soir, tu vas pas attendre que la machine décide pour toi, si ? »
Et pourquoi pas ? T’as pas envie de réitérer l’expérience, de te perdre à nouveau, comme la première fois.
Il le sait, pourtant, Takeru, combien l’expérience t’a affectée.
Il te dit « ça fait 14 ans maintenant, il serait temps de passer à autre chose ».
Tu grognes, parce que t’as beau l’aimer, faudrait qu’il apprenne à s’occuper d’son cul. Tu lui demandes pas comment c’était toi, de se faire mamouracher le derrière toutes les deux semaines, si ?
Bon.
En fait si, tu demandes.
Par curiosité malsaine. Un peu déplacée.
Un peu parce que t’aimerais bien qu’il la ferme.
Un peu parce que ça t’intéresse.
Il éclate de rire et tu peux pas t’empêcher de sourire.
Il dit « Mieux que tu crois gamin, mieux que tu crois ».
32 ans - 2109
T’as rencontré un type.
Il s’appelle Joe.
Il fait partie de la famille, lui aussi, et il a décidé qu’il t’appréciait.
T’as eu beau faire de ton mieux pour le repousser, pour l’en dissuader, il avait les idées bien arrêtées, le petit gars.
C’était presque devenu une farce, dans la famille, de vous voir ensemble.
Jin et Joe.
Joe et Jin.
T’aimais pas bien ça, toi, les murmures qui circulaient. Comme quoi tu te serais adouci, comme quoi tu serais plus si féroce.
Tu t’étais pas adouci du tout, ça non.
Il y a toujours quelque-chose en toi qui ne demande qu’à rugir, qu’à hurler.
Quelque-chose de sombre.
Toi qui recommences à sortir avec d’autres frères, c’est que de la tolérance, des relations que tu t’imposes pour ce qu’elles peuvent t’apporter.
T’aimes personne.
Sauf Takeru.
Joe te sort souvent, surtout après Shukumei.
Il appelle, rappelle, te harcèle jusqu’à ce que tu acceptes, et le plus souvent, c’est ce que tu fais. Ça ne peut te faire que du bien de côtoyer davantage la famille, d'être présent pour ceux qui pleurent encore leurs pertes.
T'as perdu personne toi.
Un soir, une femme t’approche.
Tu sens les regards de tes frères qui pèsent sur toi et tu les entends déjà jaser si tu la repousses.
Faut dire qu’en 10 ans ils ne t’ont jamais vu en charmante compagnie.
Tu la laisses venir vers toi, te charmer.
Rien n’y fait.
T’es frigide comme un glaçon.
Tu poses un gros billet sur le bar, et tu l’invites à te suivre. Elle hausse un sourcil, visiblement surprise, mais finit par accepter. Tu l’emmènes dans un hôtel, au coin de la rue.
L’affaire est pénible, franchement humiliante. T’es pas excité pour un sou et tu finis par rajouter un billet pour acheter son silence.
T’es probablement le pire coup du coin.
Les mois suivants tu retentes l’expérience, mais c’est jamais vraiment concluant, alors tu préfères t’arrêter là avant de te forger une réputation dont tu te passerais bien.
33 ans - 2110
Cette année là te fait du bien.
T’es officiellement intronisé comme Kyodai. 13 ans à faire tes preuves, à te dédier corps et âme pour la famille, ça aura finalement rapporté.
T’en enfin au même rang que ton père, mais tu ne te sens pas mieux pour autant.
T’es toujours aussi furieux, en colère.
Il ne sort jamais de ta tête.
Il y rôde comme une ombre.
Il s’y imprime comme une empreinte.
Parfois tu voudrais décrocher ta haine pour en faire des sourires d’adieu, mais rien n’y fait.
Ta violence ne s’endort jamais.