Retiens la nuit, encore un peu

![]() | Alpha Ursae Minoris Nom ;; Hôno Prénom ;; Michiru, affectueusement surnommée Micchin par les loubards du gang de son frère Âge ;; 19 ans, née le 10 décembre 2094 Genre ;; ♀ Origines ;; Japonaise Activité ;; Vient de terminer le lycée par correspondance. Elle erre en cherchant quoi faire de sa fragile vie. Sexualité ;; Elle a du mal à se l'imaginer Avatar ;; Takakura Himari de Mawaru Penguindrum Règlement ;; Validey - Ari Chemin ;; Les vrais savent Commentaire ;; Les vrais savent ![]() |
Tomber du ciel
" Le mourant dit qu'il part compter les étoiles, et qu'il reviendra lorsqu'il les aura toutes comptées. "
Michiru Hôno est cette étoile filante qui passait fugacement la brève seconde où vous avez cligné des yeux. Une étincelle de vie discrète qui brille fébrilement à l’insu de tous, derrière les épais rideaux de la fenêtre d’une grande tour sur laquelle personne n’attarde le regard. Comme le chat noir d’un appartement sans balcon, dont personne ne soupçonne l’existence. Comme moi.
Pollux, c’est le nom qu’elle m’a donné. Si vous vous demandez où est Castor, et bien… Ce malheureux a payé le bref instant où notre maîtresse voulu sentir l’air frais de minuit sur sa peau laiteuse en ouvrant la fenêtre. Je n’envie pas son sort, mais s’il était un fidèle compagnon il manquait cruellement d’esprit. Michiru n’a plus que moi désormais, et je n’ai plus qu’elle. A deux dans ce sombre appartement dans lequel la lueur du jour n’a jamais pénétré, le temps s’égraine comme le sable qui glisse entre les doigts.
Pardonnez ma mélancolie… Mes beaux jours sont derrière moi et l’idée de laisser cette enfant seule m’est pénible. Mais je suis injuste, ce brave docteur prend toujours le temps de venir la voir. Et moi le chat noir que chacun se plait à mettre dans la confidence, je sais qu’il ne compte pas les heures pour protéger ma maîtresse du mal qui l’accable. Devant elle il l’appelle l’Enfant de la Lune, mais lorsque son austère devoir reprend le dessus, il emploie les mots moins poétiques de Xeroderma Pigmentosum.
Elle brûle si vite, cette peau fragile. Ils brûlent et se nécrosent, ces yeux brillants. Le soleil source de vie ne lui apporte que souffrance et cancer. Michiru disparu dans la nuit aussi vite qu'elle tomba du ciel.
Le mal qui afflige ma maîtresse calibre chaque instant de son quotidien, quand bien même les humains puissent faire bien de choses depuis chez eux par leurs machineries. Chaque nuit, le soleil sitôt disparu entre les immeubles, elle passe plusieurs heures à la fenêtre et sur son ordinateur à étudier les étoiles, et à parler à des gens qui ne sont pas en face d'elle. Le docteur lui rend visite, il lui parle plus qu’il ne l’ausculte. Elle rit lorsqu’il est là, et elle cherche toujours quel plat lui préparer. Une fois ce brave homme parti, elle couvre sa tête d’un chapeau, ses mains de gants, ses yeux d'épaisses lunettes noires et son visage d’une crème blanche pour sortir au combini. Parfois elle triche et se promène un peu trop longtemps, et le docteur la réprimande. Elle fait de l’exercice en imitant des dames qui gesticulent sur son écran. Voilà des choses que seuls les humains peuvent comprendre.
Votre serviteur fidèle au poste de compagnon silencieux jouit de nombreux privilèges, dont celui de pousser à la confidence. Toutes ces choses dont vous n’oserez jamais parler entre vous, je les entends et les protège de l’oubli. Tel est mon modeste devoir. Je garde ainsi chèrement les souvenirs des temps où cet appartement était éclairé d’une vive lumière artificielle. Des temps où Michiru avait quelqu’un dont elle pouvait attendre le retour en préparant un repas simple mais réconfortant. Ma brave maîtresse continue à sourire, à rire et à taquiner, mais jamais plus les lumières de l’appartement ne se sont allumées.
Keita était un courageux garçon qui n’avait en tête que de protéger sa sœur de ce triste monde, il fut un temps où j’écoutais aussi ses confessions, où j’écoutais tout ce qu’il cachait à Michiru. Mais je l’écoutais elle aussi, ce qu’elle savait sans qu’il ne s’en doute jamais. Il m’a confié que leurs parents furent exécutés dans un centre de redressement à une époque où sa sœur était même trop jeune pour s’en souvenir, à moins qu'elle l'ait oublié délibérément. Ils reçurent un jour un ordre de l’Incontestable sur leur moniteur qu’ils refusèrent toujours fermement d’exécuter, quitte à en payer le prix fort et laisser leurs enfants livrés à eux-même. Michiru a perdu des gens dont elle ne gardera aucun souvenir concret, des silhouettes indistinctes, une présence floue. Mais Keita… Il n'avait que quatorze ans lorsque toutes ces responsabilités lui ont incombé brusquement. Et alors que pendant presque deux années on les ballotait entre les bureaux des services sociaux et les dortoirs des foyers d'accueil à la recherche d'un endroit adapté aux besoins de sa soeur, sa frustration grandissait. Keita aurait pu être placé n'importe où, mais où trouver un endroit pour Michiru ? Les hôpitaux sont chers, les orphelinats n'ont pas les équipements nécessaires à sa survie. Plus les mois passaient, moins les services sociaux s'impliquaient dans les recherches, lassés par ce dossier difficile. Ce n'était pas dans la procédure, mais on a finalement adopté la solution qui s'est présentée. Après avoir refusé à de nombreuses reprises, leur oncle de Nagoya accepta pourtant de devenir leur tuteur légal. Trop soulagés d'avoir mit fin à ce dossier qui traînait en longueur, on ne chercha pas à en savoir d'avantage. La société humaine me paraît complexe, et ne semble avoir que peu de place pour les situations extraordinaires comme celle de ma maîtresse dans cet univers de procédures et d'administration. Ils ne pouvaient pas compter sur leur oncle qui a tout rejeté de la famille et de l'Incontestable après ce qui est arrivé à son frère, Keita prit seul la charge d'une vie si fragile. Il se demandera toujours quel ordre ses parents ont reçu pour le laisser seul avec un tel poids sur les épaules. Moi aussi j'en suis curieux. Quel ordre avez-vous reçu pour faire payer un tel prix à votre famille, Monsieur et Madame Hôno ?
Je comprendrais sans doute mieux sa colère si je comprenais l’argent des humains. Si je pouvais comprendre pourquoi on demande à une enfant malade plus d’argent qu’elle n’en a pour se soigner. Si je pouvais comprendre pourquoi un garçon qui n’était pas encore un homme dû rejoindre ce gang et abandonner ses études. Il lui disait de ne pas s’inquiéter, qu’il avait trouvé un petit boulot tranquille. Mais elle savait sans jamais rien en dire, et je regardais l’aîné se déployer à préserver une innocence qui n’existait pas.
Le monde de la nuit est cruel. Keita l’apprit dans la solitude et le silence alors que son créancier le poussait toujours plus loin, et que Michiru pleurait son impuissance. Sous la lumière des lampes médicales de l’appartement, un frère et sa sœur plus complices que jamais se taquinent autour de la table à manger. Et dans l’ombre froide de la nuit chacun pleure les tourments de l’autre sans pouvoir se l’avouer. Ce fragile équilibre ne pouvait pas durer, quelque soient les efforts que chacun déployait pour le maintenir.
Michiru n’a jamais su que le chef de Keita eut menacé de la faire travailler dans un bar douteux pour rembourser leurs dettes, ni ce que son frère dû faire pour empêcher cela. Une nuit comme une autre d'août 2109 elle reçu un simple appel que son frère passait depuis la prison où on l’avait arrêté. Les horaires de visites n’ont lieu qu’en journée, aussi n’a-t-elle jamais pu le revoir. Même ce brave médecin n’a rien pu y faire. Ma maîtresse ne le saura probablement jamais, mais Keita vivait dans la honte et la culpabilité. Son esprit se tourmentait encore de l’enfant cruel et fâché qu’il était lorsqu’il accablait sa jeune sœur de l’attention que leurs parents lui portaient. Il savait que rien de ce qu’il pouvait faire ne saurait effacer ses erreurs de jeunesse, et pourtant il persistait toujours. Et il lui a tant laissé derrière lui, tous les fruits d'une courte vie de labeur qu'il économisait soigneusement pour envoyer sa soeur dans un grand hôpital. Aujourd'hui, ils lui servent seulement à survivre dans cet appartement où leur oncle de Nagoya les loge illégalement. Un toit contre la paix, contre la promesse qu'ils ne viendraient pas lui demander quoique ce soit bien qu'il soit officiellement leur tuteur. Elle a bien conscience qu'elle ne pourra pas vivre éternellement ainsi. Elle sait aussi que le chef de gang et les créanciers pourront revenir d'une nuit à l'autre pour lui demander des comptes. Mais qu'est-ce qu'une existence si frêle et éphémère peut faire pour finir ce que son frère a commencé ? Michiru est à un tournant de son existence... Un moment où elle va devoir trouver ce qu'une fille comme elle peut faire de sa vie, et de tout ce qu'on lui a donné. L'Incontestable pourrait-il lui apporter une réponse à cette question ?
Elle a longtemps erré. Une âme solitaire et si fragile qui scintille sans but ni raison. Entre l’hôpital, notre appartement sombre et les rues nocturnes, elle suit sa route sans destination. J'ai été séparé d'elle lorsque des torrents de boue qu'on appellera plus tard Shukumei se sont abattus sur la ville. Elle se trouvait à l'hôpital cette nuit là et lorsque le chaos envahit les rues sous la forme d'un violent séisme. Elle n'eut d'autre choix que d'y rester bloquée pendant presque deux semaines au milieu des urgences et des blessés, jusqu'à ce que les routes qui mènent à l'appartement soient praticables à nouveau. J'ai vécu seul durant ces longues nuits en buvant l'eau des sanitaires et en éventrant des paquets de nourriture sur des étagères à ma portée. Ce n'est pas très gracieux à dire de ma part, mais nous autres les chats n'avons pas ce genre de considérations lorsque la faim nous guette. Bien qu'elle souriait comme à son habitude elle était fatiguée à son retour, moralement, par tout ce à quoi elle avait assisté dans les couloirs de l'hôpital. Mais elle ne m'en a pas beaucoup parlé, et son quotidien a malgré tout reprit sa place rapidement.
Ses études par correspondance se sont achevées sans qu’aucune voie ne s’ouvre devant elle. Ni l’université, ni un travail standard ne lui seront permis. Il semble que cela soit important pour les humains. Cette dernière année fut triste et froide. Le docteur était surchargé par cette étrange maladie dont on parlait sans cesse à la télévision, et l’hôpital n’avait plus beaucoup de temps à consacrer à ma maîtresse. On entendait constamment le pas lourd des forces de l’ordre qui patrouillaient dans les rues, à la recherche de « ceux qui ont fui. » Pour se protéger de cette curieuse épidémie, on lui demanda de rester cloitrée chez elle. Le meilleur ami de Keita passait de temps à autres pour lui apporter des provisions, ou le docteur lorsque son travail lui accordait un peu de répit. C’est ainsi que ma Michiru passa de nombreux mois, emmurée dans les ténèbres et le silence, les yeux fixés sur l’écran de télévision qui partageait les funestes nouvelles de ce pays. Le temps a passé et au printemps les choses sont revenues à la normale avec une surprenante facilité. Juste comme ça, on a fini par en parler de moins en moins aux informations, et finalement c'est un nouveau scandale sur une idole qui occupa tout le temps d'antenne. Elle passa quelques jours à l’hôpital, pour se faire injecter cette nouvelle puce plus performante. Mais l’Incontestable n’a jamais prit davantage de place dans sa vie, et dans son esprit tout cela ne la concernait pas vraiment. Elle erre encore, et suit sa route parallèle au monde, comme un enfant qui marche sur une voie ferrée dont le train est parti depuis longtemps déjà.
Ma maîtresse verse des larmes. Mais malgré le malheur qui l’accable, elle se tient droite et suit sa modeste route loin des regards. Elle écrit de longs mails à une ancienne adresse électronique de Keita qu'il n'utilise plus depuis bien longtemps, et elle lui raconte ce qu'elle vit et ce qu'elle pense comme si ça lui permettait de lui parler. Je ne comprends pas très bien, mais le docteur dit que ça lui fait du bien. Il dit que c'est comme un journal intime, quoique ça puisse être. Les lumières de l’appartement sont éteintes, mais elle rit, cuisine, chante et travaille assidûment ses étoiles sous le regard bienveillant de ce bon docteur. Elle lui a confié vouloir travailler dans un planétarium. Et bien qu’elle pense parfois que ça lui soit impossible, le docteur l’encourage et elle continue sa route. Mon esprit est serein, je peux vivre mes dernières années en paix à ses côtés.
Se fondre dans la nuit
" On dit que si tu n'arrives pas à dormir la nuit, c'est car tu es éveillé dans le rêve de quelqu'un d'autre. "
Il est des gens qui dégagent une aura. Quelque chose d'impalpable et pourtant de si présent, et ma maîtresse est incontestablement de ceux-ci. Son aura n'a pas l'éclat aveuglant du soleil mais plutôt la douceur rayonnante de la lumière de lune. Froide et chaude à la fois. C'est quelque chose que l'on ne peut ressentir que lorsqu'elle est en face de nous, en personne. J'ai parfois vu des photographies d'elle, mais elles n'y apparait que comme très quelconque. Je crains que ma condition de félidé ne fasse pas de moi un excellent juge de la beauté humaine. Et puis je manque d'objectivité à propos de ma maîtresse bien-aimée, elle est après tout à mes yeux la plus belle chose que ce monde ait porté. Il y a une poupée en porcelaine qui décore sa chambre entre moulte bric-à-brac. J’ignore si c’est là son intention mais je crois que Michiru lui ressemble. Sa peau qui jamais n’effleura un rayon de soleil est blanche et lisse comme le lait froid qu’elle me sert parfois. Même moi, je peux dire que son teint si clair semble même maladif sous certaines lumières. La crème blanche qui protège sa peau et qu’elle s’applique toutes les nuits n’arrange assurément pas les choses. Mais une lumière artificielle trop intense ou un rideau trop usé a tôt fait de la faire tourner au rouge à une vitesse déconcertante.
De longs cheveux raides et cuivrés lui encerclent le visage, une raie de côté dévoile son large front. Même si elle complexe parfois à ce sujet, ma maîtresse s’en tire à bon compte. Le docteur disait que les déformations crâniennes ne sont pas rares pour les enfants de la lune. Elle a toujours regretté ces cheveux si lisses qu’elle n’a jamais pu coiffer comme elle le voulait et ne rêvait pendant longtemps que d’interminables ondulations. Mais quoi qu’elle en dise elle s’applique nuit après nuit à les brosser avec rigueur, y passant sa brosse en plastique encore et encore. Sous ses longs cils roux, des pupilles gris-mauves brillent d’un éclat doux lorsqu’elle les clos à demi pour se perdre dans ses pensées. Selon elle, cette couleur inhabituelle est un vestige de sa grand-mère maternelle. Michiru m’a raconté qu’elle était une jeune idole au succès retentissant mais éphémère. Depuis cette chute de popularité, elle se serait livrée à des lubies esthétiques de plus en plus extravagantes pour rester à la page, et aurait changé de couleurs de cheveux et d’yeux à de nombreuses reprises.
Elle complexe, ma Michiru. Sur son grand front, sur la couleur bizarre de ses yeux. Sur ses cheveux trop fins et raides, sur ses lèvres trop petites et trop pâles. Je ne suis pas sûr de le comprendre, mais je crois que c'est propre aux humains de son âge. Pourtant, elle ne cache pas son front sous une frange, elle ne boucle pas ses cheveux, et ne cache pas ses lèvres sous un maquillage. Elle s'expose au regard de celui qui se hasardera à poser les yeux sur elle, pudique et entière. Ses cheveux sentent l'abricot, sa peau a le goût de la crème solaire. C'est une alchimie à nulle autre pareille, et presque un peu envoûtante.
Même moi, je peux remarquer que son corps souffre du manque de lumière et d’exercice. Ses mouvements sont lents et parfois fébriles, et ses fines jambes semblent à peine supporter le poids de son corps malgré le B.I.C à son poignet qui lui injecte quotidiennement des vitamines. Sa voix est faible lorsqu'elle parle, elle pèse chaque mot dans un débit lent et mesuré. Bien qu'elle soit parfois hésitante, et parfois même un peu tremblante. Le docteur m’a confié que parfois les traitements affaiblissent autant que le mal en lui-même. Je veux bien le croire étant donné les plaquettes de pilules que je vois s’accumuler sur la table de Michiru à chaque repas. Si j’avais un cœur humain je serais peut-être peiné de la voir ainsi. Mais mes plaisirs simples apprécient les gouttes de lait et les caresse qu’elle me donne, et que je lui rend en m’allongeant près d’elle lorsqu’elle est trop faible pour quitter le lit.
Pardonne-moi
" C'est doux la nuit, de regarder le ciel. Toutes les étoiles sont fleuries. "
Ma maîtresse vit en autarcie, elle n’a aucune idée du monde qui l’entoure et n’a pratiquement aucun contact avec ses semblables, bien qu’elle parle parfois à des gens sur ses écrans. Il serait aisé d’observer sa vie et de faire le maladroit raccourcis d’une fille naïve et innocente, peut-être un peu simple d'esprit. Il n’en est rien, Michiru a compris bien des choses par elle-même et s’est construite seule. Elle pleure souvent, dès qu’une émotion positive ou négative lui soulève le cœur. C’est une pleureuse silencieuse dont les larmes tombent sans bruit, mais je demeure admiratif en quelque sorte devant le courage qu'un corps si fragile peut déployer. Ma maîtresse ne fait pas que surmonter son quotidien. Elle l’accueille, lui ouvre des bras compatissants comme à un chiot blessé qui jappe plaintivement. Elle est comme ça ma Michiru. Elle accueille les blessures, la violence, tout ce qui est brisé. Et elle se demande constamment ce qu'elle peut faire pour eux, comment leur apporter un peu de la douceur dont on a fait preuve à son égard. Sans s'en rendre compte, elle allume une toute petite étincelle dans le cœur de ceux qui croisent sa route et la fait scintiller, d'une façon qui n'appartient qu'à elle.
Bien qu’elle soit cloitrée dans une sombre habitation, un des rares plaisirs de ses nuits est de prendre soin d’elle, aussi reste-t-elle soignée malgré sa vie casanière. De même se plait-elle à décorer et à prendre le plus grand soin de son modeste appartement pour qu’il corresponde parfaitement au sanctuaire dans lequel elle se sent bien.
Keita s’est appliqué vous savez ? Un beau lit à baldaquin, de jolies robes… Ma maîtresse a toujours été traitée par son frère comme une douce princesse, et elle le lui rendait bien dans ses manières délicates et son attitude attentionnée comme on n’en retrouve plus chez les jeunes filles de ce siècle. En d’autres circonstances, ma Michiru aurait fait une bonne épouse, source d’une chaleureuse atmosphère dans son foyer. Du moins, tel que le conçoivent les humains.
Sa culpabilité peut la pousser à se comporter avec les autres comme avec des étrangers, même après les avoir côtoyés un certain temps. Discrète et polie, elle se fera cependant plus amicale lorsqu’elle prendra confiance. Prompte à taquiner, parfois même un peu immature mais je peux présumer qu’à son âge humain ce soit encore acceptable. Elle ignore encore bien des choses de la vie en société et se risque ainsi à quelques maladresses sociales, malgré toutes les bonnes intentions dont elle est pourvue. Elle ne sait pas toujours ce qui est normal ou non, ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas.
Ses seuls contacts avec l’extérieur sont bien limités. Les livres numériques, films, séries et les gens qu’elle rencontre en ligne sont ses seules sources d’informations. Abreuvée de fictions, Michiru est rêveuse et tend à imaginer ce qu’elle ne connaît pas en s’inspirant de ce qu’elle a vu dans les œuvres qu’elle consomme. Pourtant l’inverse est aussi vrai, l’un des seuls aspects du monde qui lui a été donné de connaître fut l’univers des gangs dans lequel baignait son frère. Servir du thé à des loubards venus lui rendre visite et panser leurs plaies sera ainsi pour elle parfaitement naturel, elle peut aborder le sujet avec une simplicité qui aurait de quoi déconcerter dans la bouche d’une jeune fille comme elle.
Je connais ma chère maîtresse mieux que personne. Son livre préféré qu'elle garde toujours près de son lit : Le Petit Prince. Sa manie de glisser les cheveux derrière son oreille lorsqu'elle ment, de plaquer la tasse de thé encore chaude contre sa joue, de répéter les dialogues d'un film qu'elle regarde en même temps que les acteurs. Le morceau de cheesecake qu'elle s'achète au combini pour se réconforter lorsqu'elle est triste. Son étrange attrait pour les films d'horreur devant lesquels elle pleure plus qu'elle n'est effrayée, car elle est triste de voir les personnages mourir. Sa collection de marchandises à l'effigie de Sorakara-chan, la mascotte de la tour Tokyo Skytree. L'odeur du shampoing à l'abricot dont elle raffole. Son appétence pour le riz blanc sans aucun assaisonnement qu'elle mange en grande quantité. Sa façon de rire, faible, presque murmurée, comme si elle se moquait de vous avec gentillesse.
Ma maîtresse a bien conscience des difficultés que son état occasionne pour son entourage. Bien qu’elle vive constamment dans la culpabilité, elle a aussi longuement travaillé sur elle pour s’accepter comme elle est et vivre tant bien que mal. Mais elle a peur Michiru, vous savez ? Elle sait que le cancer la guette, que son espérance de vie est mince. Elle sait à quel point le fil qui tient sa vie est fin. Elle s'en veut d'exister depuis que la personne avec qui sortait son frère le lui a cruellement reproché, exaspérée par la situation difficile que Keita vivait. Je n'ai pas souhaité en parler avant car même si elle n'en montre rien, quelque chose s'est brisé en elle depuis qu'on lui a dit cyniquement "Vas-y, repars sur ton étoile." Elle voit désormais sa vie comme un caprice qu'elle s'accorde timidement. Elle est à ses yeux un parasite, un vampire qui aspire tout ce qu'il y a de bon dans ceux qui l'entourent, et ce qui est arrivé à Keita n'a fait que la conforter dans ce sentiment. Pourtant elle craint malgré tout le futur qui l'attend inexorablement. Dans le silence, pour n'inquiéter personne de ceux qui font déjà tant pour elle. Elle ne réalise pas que c'est en étant ce qu'elle est que sa douceur et sa bienveillance rayonnent autant. Que c'est ce qui réchauffe le coeur de ceux qui croisent sa route. Malgré son tumulte intérieur, ce ne sont que des ondes positives qui transparaissent lorsqu'elle est avec les autres. Même si elle pleure, même si c'est maladroit, c'est tout cela qui fait briller son aura et qui apaise ceux qui y sont exposés. Ce bref aperçu de ce qui ébranle secrètement son âme, je suis le seul à pouvoir vous en parler. Elle réserve ses pensées les plus intimes à ces mails qu'elle rédige pour son frère, en sachant qu'il ne les lira jamais.
L’Incontestable ? Elle ne m’en parle que peu, et les évènements de ces derniers mois ont un peu ébranlé son opinion sur ce sujet. Si elle se plaît parfois à rêver d’amour, c’est un sujet qui ne semble pas au cœur de ses préoccupations. Peut-être croit-elle ne pas y avoir droit, elle a toujours vécu à l'écart de toute chose après tout. Je me demande même si elle se rend compte que cette vague idée est un réel destin tangible qui l’attend d’un jour à l’autre. La seule expérience qu’elle en a est celle de ses parents qui… A tourné court. Peut-être en a-t-elle peur, et en même temps elle veut croire qu'un peu d'amour l'attendra, là où l'Incontestable l'emmènera. Qu’après tout ce qu’on lui a donné, elle pourrait être choisie pour apporter quelque chose a quelqu’un. Le moment venu, je sais qu’elle saura obéir sagement comme elle l’a toujours fait.
Ma Michiru est une perle rare dans ce siècle d’austérité et d’égocentrisme pour quiconque saura l’accepter. J’ai partagé sa solitude et ses rêves d'enfant. Je me suis allongé près d'elle lorsqu'elle était trop faible pour quitter le lit, Je l'ai écoutée se murmurer des mots doux pour se donner du courage lorsqu'elle regardait le ciel nocturne. Je me suis frotté contre ses jambes lorsqu'elle jalousait les mannequins aux peaux halées dans ses magazines. Toute ma vie de chat j'ai vécu son modeste quotidien à l'abri des regards, dans un monde qui n'appartenait qu'à nous. Si le choix m'était donné, j'aimerais me réincarner une nouvelle fois auprès d'elle. C'est une prière silencieuse que je garde dans un recoin de mon âme, pour le jour où mon heure viendra.
