Thunderous » Raiden

     Une histoire d’amour semblable à un verre d’eau. Rafraîchissant dans ses débuts, l’impression d’être satisfait de la première gorgée. Puis découverte décevante de la fadeur, insipide petit moment de vie. N’apportant que le confort d’une simplicité qui convient à la majorité. Petit couple qui se complaît dans la médiocrité. Tes parents Raiden. Ils étaient beaux tous les deux, l’image dépeinte d’un ensemble harmonieux, d’un lien qui fonctionne bien que parfois bancal. Ils ont abandonné leur espoir et leur passion avant même de les avoir. Seule perturbation dans leur environnement. Toi. Naissance à l’image de ta vie. Chaotique. Résultant ainsi en enfant roi. À cœur bombardé, ta mère t’a tout donné, tout offert, tout pardonné. De la petite bêtise d’enfant aux colères violentes. Adorable responsable d’une abomination.

     Flots incontrôlables d’une jeunesse sans règle, sans interdit, sans punition. Flot que l’on tente tant bien que mal de contenir dans un bassin dont l’écume s’accroche inlassablement aux limites. Raiden, tu es le gamin que tous les enfants adorent, mais que tous les parents détestent. Turbulent, bruyant, autoritaire. Un petit chef en culotte courte que la différence d’âge ne dérange. Vocation à guider le monde et en faire ce que tu en veux. La sagesse du temps a peu d’emprise sur le déferlement des vagues. Et toi, tu étais la mer Raiden, une mer en furie que ces quelques années n’avaient pas réussi à calmer. Tes parents ne trouvant de confort que lorsque tu t'épuises en rythmiques. Le balancement de ton corps, seul canalisateur de tes foudres.

     L'assurance habillant ton corps comme un voile de beauté, tu happes les foules autour de ton être. Soleil d'un monde qui a décidé de suivre ton cycle et tes éruptions. Caïd sous couvert de plume blanche. Remords feint et sourires déguisés. Tu fais du mal. Au silence des adultes, tu joues d'une supériorité qui n'existe pas. Blagues, bousculades. Divertissement aux dépens des autres. Tes rires moqueurs, écho dans les pièces, résonnent dans leur tête. Ils se demandent quand sera leur tour ? Ç​​​​​​​a t'amuses, Raiden, de les voir trempés, ramasser ce qui reste de leurs affaires, celles que tu jettes dans la fontaine pour le seul amusement des moutons qui t'entourent.

     Écart à tes envies de destruction. Échappatoire à ton propre double. Cette passion pour la dynamique des corps dans une rythmique qui t'emporte. Seule chose que tu prends sérieusement. Régulier, entraîné, intransigeant. La rue, le bruit, vos pas. Les applaudissements de quelques badauds qui t'enivrent. Tu rêves de plus Raiden. Tu envies les grandes salles, les lumières qui brûlent ta peau, les cris hystériques qui percent tes oreilles. Strass et paillettes, tu les touches du doigt. Une incitation, une audition. Départ en Corée. Touché par une grâce que tu ne mérites pas, tu attrapes les cordes de ce destin à pleine main.




     Crissement de pas sur le parquet. Respirations saccadées. Nuits tardives. Répétitions. Encore et encore. Travail acharné. Loin de la vision idyllique que tu avais sur tout ce système. Mais rien ne t'arrête, Raiden. Être parfait, être le meilleur, c'est tout ce que tu aimes faire, tout ce que tu souhaites être. Sûr que ton obstination te permettra d'arriver à tes fins. Être le prochain à débuter, le prochain sélectionné. Lentement, tu brodes de fils d'or l'avenir auquel tu aspires. Pour toi, le relâchement est exclu et il est hors de question que quelqu'un puisse te tirer vers le bas. Véritable dictateur dans la salle de danse. Tu exiges l'excellence comme si l'entreprise t'appartenait. Heures après heures. Jours après jours. Plus exécrable que les précédents. Seul se hisse à ton estime ceux qui parviennent à suivre ton rythme infernal. Ceux qui finiront par te rejoindre dans cette quête de la réussite.

     Écho infernal d'une machine mise en route. Juste le bruit lointain de ce qui se passe de l'autre côté de la mer. Là d'où tu viens, c'est une protestation nocturne. Pourtant, un vent, comme le souffle d'un soulagement. Comme si quelque chose allait bouger. Du haut de tes 17 ans Raiden, ta voix ne s'était jamais élevée contre ton système. Pourtant, ton avis ne lui était pas entièrement favorable. Tu avais juste appris à ne pas faire de vagues. Pour le bien d'une future carrière, tes pensées étaient restées à ce stade. Les questionnements, en revanche, se faisaient toujours entendre dans tes discussions. Comment vas-tu gérer le jour où on te mariera ? Tout arrêter ? Faire une croix sur ta carrière pour un mariage dont tu n'as pas voulu ? Mettre de côté tout ce pour quoi tu as travaillé, tout ce dont tu as toujours rêvé pour pouvoir dormir à côté d'un inconnu ? Devoir passer le restant de tes jours à côté de la raison pour laquelle tu auras tout laissé tomber. Comment ferais-tu pour ne pas avoir de ressentiment envers cette personne ? Tu détestais cette idée Raiden. Déflagration, accusation et désapprobation. Puis tout s'est arrêté. Tout a pris fin et rien n'a changé. Et tu as repris ta vie comme avant, tu étais loin de cela après tout.

     Premier pas sur les réseaux en tant que membre d'un futur groupe. Première apparition télévisée. Les choses avancent Raiden. La dernière ligne droite avant de toucher les étoiles. Tes espoirs n'ont pas été vains. Quatre années à apprendre. Quatre années derrière ceux que tu admirais. Bientôt, tu pourras te tenir à leurs côtés. Début prévu dans l'année, les dates sont fixées. Mûrs fruits de ton travail. La récolte est proche. Excitation. Jubilation. Et ce sont tes yeux qui se mouillent aux images. Tes mains tremblent sous les sons. C'est ta respiration qui se coupe alors que déferlent les vagues sur ton pays. Du bonheur au désastre. Les tonalités incessantes, les mêmes refrains du réseau ne pouvant se connecter et toujours cette inquiétude qui te tord le ventre. Tu veux rentrer, Raiden. Tout abandonnés. Hurlant à qui t'empêche de passer qu'il faut que tu y ailles. Mais qu'est-ce que ça va changer ? Les choses ne vont pas miraculeusement rentrer dans l'ordre par ta présence. Mots répétés que tu ne veux écouter. Battant en berne. Tu t'éteins. Cerné, décoiffé. Écran collé à ton visage. Buvant la moindre information pour tenter d'apaiser tes tourments. Les ondulations de ces vagues brisant un peu plus ton âme. Geste commercial plutôt qu'humanitaire. Cupide petite agence qui profite du malheur d'autrui. Quelques petites semaines après la catastrophe, vous êtes envoyé sur place pour aider. Aider, un bien grand mot. Juste faire grandir la fan base sous couvert de générosité et d'altruisme. Tes mots silence et tes sourires de façade. Tu te fiches de tout, tu voulais juste revoir ta famille, t'assurer que tous étaient saufs. Un arrangement peu scrupuleux qui t'a montré la réalité. Alors, tu t'es fermé. Plus acteur qu'humain. Ils t'ont créé Raiden, fait sortir de toi le pire.

     Décembre de la même année, ce qu'ils ont annoncé comme l'événement de Noël. La sortie officielle de votre premier MV. Votre début. GAXS est né et le Raiden a deux faces est apparu. Plus charmeur et menteur. Sourire à la santé fragile, empoisonné par leur manque de compassion. Aube de ton égoïsme profond. Décharné de cette innocence enfantine. Difficile lancement dans un monde déjà saturé. Le déjà vu du divertissement. Vous percez lentement l'épaisse coquille des artistes bien ancrés. Ceux que tu admirais, tu veux à présent les dépasser. Voler leur victoire. Éteindre lentement la flamme de leurs adorateurs et t'immiscer en eux. Sangsue à leur côté, amitié profitable. MC adorable avec qui le monde semble s'entendre. Rôle secondaire de drama. Touche-à-tout de l”entertainement”. Tes racines s'agrippent à toutes les possibilités. La fragile notoriété devient rhizome, vivace, d'une fulgurance que l'agence n'aurait pu prévoir. De mois en années. Votre place se fortifie, imposant votre présence. Premier trophée, premier album, première tournée nationale puis internationale. Et ça te monte à la tête. Poison puissant exacerbant l'ignoble de ton toi profond. Toxique fumée de tes furies soudaines, de tes crises jalouses.

     Émotions muettes alors que sonnent les premières informations perturbantes. Phénomène étrange dans ton pays berceau. Parents inquiets de tes mouvements. Sourds aux problèmes que subit autrui de l'autre côté de la mer. Rangé dans ton quotidien, le “system error” n'étant que des mots sur les lèvres de tes géniteurs. Des actualités à la volée. Aussi influente que la météo à tes yeux. Si tout va bien pour toi, tout va bien ailleurs. Sans ton accord. Le sort s'acharne et l'enchaînement de mésaventures dans ce monde que tu as quitté te frôle la peau. Après les problèmes de cette puce que tu détestes, c'est le bruissement d'une épidémie qui te parvient aux oreilles. Plus inquiétant, plus vicieux peut-être. Ce malheur, pourtant loin de tes yeux, t'a fait frissonner. Familles aux habitations éparses, aux cœurs en défaillance. Santé volée à ceux où ton regard ne s'arrête que très peu. Cousins, cousines, tantes ou autres points sur la lignée. Tu n'y aurais porté que peu d'importance si l'incidence sur tes géniteurs ne t'avait pas inquiété. Pourtant, rien. Tout est en ordre dans ton petit monde.




     Point noir sur le tableau de tes réussites. Répréhensibles paroles énoncées sous couvert d'une intimité. Tu t'es cru à l'abri, Raiden, et tu as fauté. Premier aperçu de ce qui se cache derrière le masque. Tes mots sont durs envers ceux qui t'admirent. Expression peu flatteuse sur l'odeur, sur les faciès de certains, voire pire. Des propos dissonants face à ton image. On te montre du doigt. Juste retour de flamme, vengeance du destin. Pourtant, on te défend, ton maquillage craquelé, mais tu ne perds pas la face. Couverture facile d'une attaque sur ta personne, mis à ta bouche des paroles que tu ne saurais prononcer. Innocence mensonge. L'agence se plie en quatre pour faire disparaître les preuves. Des “vacances” te sont données pour apaiser les communautés. Retour sur la terre de tes ancêtres. Disparition des radars pour quelques semaines. On enterre le cadavre de ta faute par ton silence. Timing providentiel ou simple hasard des choses, l'implantation des nouvelles puces est en pleine campagne. Tu aurais voulu t'en passer, Raiden, mais à ton grand désarroi, tu ne fais exception. Avec la fraîcheur de la rosée, tes mots enterrés et les cris plaintifs de tes adorateurs, le retour dans ton pays d'adoption se fait sans encombre.

      Années passantes, ton blason redoré se froisse à nouveau. Erreurs passées qu'on ne peut effacer et nouveau crime à ton tableau de chasse raté. Tu danses avec les interdits te croyant à l'abri d'une justice qui ne rêve que de te tomber dessus. Jouant avec le feu sous couvert d'un amour volatil. Protection faible face aux lois d'un pays. Tes fautes, Raiden, sont pires à chaque dérapage. Immaculée soirée que tu t'es décidé à peindre de tes erreurs. Enchaînement noir qu'on ne peut passer sous silence. Entraînant tes cadets dans une décadence qui ne leur est permise. Coulée pétillante d'un breuvage enivrant. Outrance de tes lampées, poussant une jeunesse à la naïveté blanche à suivre l'exemple marqué de tes cornes rouges. Trop jeune, beaucoup trop jeune pour comprendre que tu n'es un modèle pour personne. “Underage drinking” c'est ce qui va se glisser sur leur dossier, les suivre le long de leur vie. Et toi comme seul responsable de leur futur brisé. Tâchant encore davantage le tien. Insuffisant à tes yeux. Volonté de toujours faire pire. Mains tremblantes sur le volant. Yeux aux volutes liquoreuses. Esprit embué de spiritueux. Invincible. Crissement de pneus, éclats de verre, gonflement soudain et perte de connaissance.

     Gros titre. Tabloïd. Police. Enchaînement brutal à ton réveil. Agence qui s'arrache les cheveux sur ton cas. Toujours à racheter tes fautes. Toujours à éteindre les flammes qui les menacent par ta faute. La fois de trop, Raiden. Ils ont beau te défendre, tes fans, persuadé d'une vérité qui n'est pas. Influencé par ton image parfaite. Cette fois, rien n'est rattrapable. Coulé par tes bavures. Trop de bruit, trop de répercussions. Sur la touche. Éjecté des prochaines promotions. Soulagement de ton emploi du temps. Mis de côté pour une durée indéterminée. Tu as causé ta chute. On te renvoie au Japon sans prévoir ton retour. Remettre de l'ordre. Ne plus avoir à te gérer. Adieu Raiden.