Julian Keita Otsuda

HISTOIRE :
« Journal intime de Julian Keita Otsuda. »

Cher journal… Nan, faut que ce soit plus personnel, je vais te donner un p’tit nom. Et vu que tu sauras tout sur moi, je vais t’appeler « Akira ».

18 juillet 2102 - Cher Akira, on se rencontre le jour de mon anniversaire ! Hé oui, aujourd’hui j’ai 14 ans ! Je suis né à Chitose, dans la région d’Hokkaido en plein été, et heureusement parce qu’en hiver, c’est sacrément enneigé ! Ma mère est une pure japonaise, elle s’appelle Tetsu et d’aussi loin que je me souvienne, elle a toujours été secrétaire médicale. Elle tape hyper vite au clavier d’ailleurs, j’vous jure ! Mon père, Andrew, il a des origines américaines à moitié et j’trouve ça stylé ! Il a toujours eu envie de grand air, mais est resté coincé derrière un bureau toute sa vie. C’est comme ça qu’il a rencontré maman d’ailleurs. Elle au secrétariat, lui radiologue. Ouais, c’est pas la branche la plus folle de la médecine hein… Mais il en faut !

18 juillet 2104 - J’ai pas encore bien l’habitude d’écrire ici, mais me revoilà ! J’ai deux ans de plus, et tout va bien. Je suis toujours dans la même ville et j’ai remarqué un truc pendant les cours. Y’a plein de gens de la classe qui se passionne pour des métiers hyper bateau, mais ce qui m’attire moi… c’est la musique. La danse et le chant, j’aime beaucoup aussi, mais surtout la musique. Je crois que la guitare qu’on m’a offert l’an dernier y est pour quelque chose, j’arrive pas à la lâcher ! Si tu pouvais écouter, j’suis sûr que t’aimerais, Akira !

13 octobre 2106 - AKIRA, tu ne vas pas le croire, mais j’ai rejoint les Chika Idols sous le nom de Keita ! Oui, c’est juste mon 2e prénom, mais je suis un trainee, un vrai ! J’crois que ça plaît pas à Maman, elle arrête pas de rabâcher que c’est pas une carrière stable, que c’est que de la poudre aux yeux et tout… Mais Papa me soutient et c’est trop génial ! Il a même payé une partie du prêt pour m’aider, vu qu’ils déménagent à Tokyo de leur côté. J’espère que ça va bien se passer, et un jour, je le rembourserai avec mon super salaire d’Idol ! Il y a des gars vraiment cools en plus, aux sessions d’entraînement. J’espère qu’on sera ensemble pour performer !

20 mai 2107 - Eh bah devine quoi, j’suis dans un groupe avec Mamoru, Rei, Satoru et Ryûma ! Ils sont méga cool et j’ai l’impression d’avoir les frères que j’ai jamais eu.

14 février 2108 C’est la Saint-Valentin aujourd’hui et j’avais enfin pris mon courage à deux mains. Je voulais tout avouer à Ryûma, que je l’aime bien plus qu’un pote ou un bro, et qu’il… me plaît. Mais il a fallu qu’une manif ait lieu aujourd’hui et chamboule le moral de tout le monde. Le « Big bang kiss ». Pfff… ça me parait complétement débile de s'opposer à un système qui fait ses preuves, c’est pas grâce à ce genre de personnes que le taux de naissance au Japon va se remettre d’aplomb ! Je me demande si l’Incontestable me mariera un jour, et si ce sera avec « lui »…

15 février 2108 - Je retire ce que j’ai dit. Ryûma vient de m’annoncer que lui et Sana sortent ensemble. Dire qu’hier j’étais prêt à me déclarer Akira, et il a fallu qu’elle… qu’elle soit là. J’espère qu’elle ne lui fera pas de mal, et qu’elle sera une bonne petite amie avec lui. Je le soutiendrai autant que possible. De toute façon, je ne peux que garder mes sentiments pour moi. Les dévoiler ne ferait rien de bon. Garde ça pour toi, Akira, il n’y a que toi qui le sais, et qui le sauras à tout jamais je crois bien.

18 septembre 2108 Ca fait déjà quelques mois, mais c’est toujours aussi douloureux de les voir ensemble. D’autant plus que certaines rumeurs courent au sujet de Sana et son manager, alors ça ne me plaît pas trop. Mais ce ne sont que des rumeurs, pas vrai ? Y croire, ça n’aiderait pas Ryû, et je l’aime trop pour enfoncer le couteau moi-même. Je vais le soutenir coûte que coûte !

24 décembre 2108 - Cette ***** de Sana a laissé tomber Ryûma. Ça fait des jours qu’il attend de ses nouvelles, qu’il est l’ombre de lui-même et le voir comme ça me fait mal, surtout en cette période de fêtes. Je le soutiens comme je peux, mais y’a un malaise qui s’installe entre lui et moi, ça se sent comme le nez au milieu de la figure. Peut-être que ma rancœur envers elle se ressent trop. Pourtant, je suis prêt à parier que si son carnet a disparu, elle n’y est pas pour rien. Elle a aidé à le chercher, certes, mais qu’elle s’envole à Tokyo pour sa carrière aussi peu de temps après… J’le sens pas. M’enfin, gardons ça pour nous Akira, je doute que Ryûma soit prêt à l’entendre, et que ça nous rapproche…

12 octobre 2109 - La météo n’était pas des plus jolies, mais qu’on se retrouve en congé exceptionnel à cause de ça ne me disait rien qui vaille. Je n’ai jamais aimé les torrents de pluie, alors les typhons n’en parlons pas. Les gars sont partis se coucher mais incapable de dormir, j’ai demandé à Ryû de rester dans le canapé avec moi, au moins le temps de trouver le sommeil contre son épaule. Ça m’a fait du bien, l’espace d’un instant c’était… comme avant. Jusqu’à ce que le téléphone de Ryûma se mette à sonner. Il a allumé la télé aussitôt et les images qu’elle affichait m’ont glacé le sang. J’ai essayé d’appeler mes parents, mais les réseaux étaient saturés. Je prie pour que tout ça ne soit qu’un mauvais rêve en allant me coucher, si tant est que je ne trouve le sommeil.

15 octobre 2109 - Les images continuent de défiler à la télé. Cette vague géante qui s’abat sur la capitale, les bâtiments qui tombent comme des quilles au bowling, les voitures emportées par les flots et… ces gens. Je scrute les images à longueur de journée, croisant les doigts pour voir apparaître son visage, sain et sauf aux côtés d’un pompier. Akira, papa m’a dit hier qu’ils ne l’avaient pas encore retrouvée... Maman, cette entêtée qui même par tempête, a toujours tenu à ses petites habitudes.  J’espère qu’elle va bien…


12 octobre 2110 - Cela fait un an. Un an que Shukkumei a ravagé la côte, un an que les eaux ont emporté ma mère. Aujourd’hui, le monument aux morts est inauguré. Son nom y est inscrit et, même si j’avais voulu y aller, c’est figé de terreur que je me trouve sur le canapé. J’ai toujours du mal à encaisser. Le Hamarikyu Gardens a une tout autre connotation maintenant, avec cette colonne sombre en plein centre. Maman, et vous autres victimes, on ne vous oubliera jamais.

13 octobre 2110 - C’est la fin, Akira. L’agence nous a annoncés aujourd’hui que nos contrats s’arrêtaient. Nos dettes s’accumulent et je crois qu’avec Shukkumei, je n’arriverai pas à remonter sur scène de sitôt, même si j’aurais aimé chanter une dernière fois pour elle. Ryûma compte poursuivre dans le milieu, il prévoit même de partir à Tokyo. Une infime partie de moi ne peut s’empêcher de penser qu’il espère recroiser Sana, qu’ils vivront peut-être heureux. Tout ce que je lui souhaite, c’est qu’il ait une belle vie. De mon côté, j’ai besoin de prendre l’air, de tourner la page sur ces 5 ans de trainee, tourner la page sur mes sentiments et m'autoriser enfin à être heureux... à ma façon.
Au revoir le Japon, New York, j’arrive.

24 février 2112 - Japon, me revoilà. Après une année à me chercher, à enchaîner les petits boulots, mais c’est finalement la musique qui m’a rappelé. Rentrer au pays pour rencontrer la nouvelle femme de Papa et faire face à ma vieille guitare m’a rappelé d’où je venais et ce que je voulais. On a discuté un bon moment, Papa et moi. Il n’oubliera jamais Maman, et moi non plus, mais le voir au bras d’une femme d'une douceur sans nom me rassure.  Elle le réconforte, le soutient et les voir planifier un voyage ensemble alors qu’il a toujours eu envie de grand air me réchauffe le cœur. Comme quoi l'Incontestable mérite son existence, peu importe ce que diront les manifestants, peu importe ce qui a bien pu se passer pendant mon absence. Le bug des puces ne m’aurait pas impacté, en bon célibataire que je suis, mais j’ai quand même fait remplacé la mienne à mon retour pour éviter un quelconque souci. L’important, surtout, c’est que l’épidémie qui a frappé l’archipel n’ait pas touché mes proches, du moins de ce que j’en sais.

Au fait Akira, mon cœur va un peu mieux. Je crois que l’Amour me tombera dessus, un jour, mais en attendant, je préfère m’en passer. Les relations les plus « simples » me conviennent. Ce voyage m’a d’ailleurs ouvert les yeux. Moi qui me pensais bisexuel, je me rends compte qu’homme, femme, ou même en transition, ce n’est pas le genre qui importe, mais le courant qui passe ou non. Le feeling, il n‘y a que ça de vrai. Alors jusqu'à ce que l'Incontestable ne trouve ma moitié, je profiterai du temps qu'il me reste sans me prendre la tête.

7 juin 2112 - Akira… je crois que j’ai trouvé ce que je vais faire de ma vie. Je n’ai pas pu me résoudre à m’installer à Tokyo près de Papa, cette ville c’est encore trop pour moi. Alors je suis rentré à Hokkaido quelques jours après mon dernier message ici, et j’ai aussitôt cherché du travail. Ce que j’ai trouvé n’était à la base qu’un petit boulot dans la radio locale, mais j’ai été promu au rang d’animateur et… j’aime vraiment ce que j’y fais. C’est l’occasion de parler de ce que j’aime, de partager ma passion avec les invités ou avec les auditeurs, et franchement, c’est juste… génial. Mon émission gagne petit à petit en popularité dans le coin, et je crois que mes petits morceaux guitare-voix que je partage parfois sur internet donnent un petit coup de pouce à tout ça.

18 Juillet 2114 - Après deux ans à faire grimper l'audience, j’ai l’honneur de t’annoncer qu’une station de radio nationale m’a proposé d’avoir MA PROPRE EMISSION ! C’est tellement fou, j’ai encore du mal à réaliser. Ce serait en direct, a des heures d'affluence et ça me permettrait de gagner en popularité, d’avoir un meilleur salaire. Une aubaine pour rembourser la fin de mon prêt, mais surtout d’avoir ma chance. Le seul problème, c’est que je dois déménager à Tokyo. Ça reste une grosse décision pour moi, parce que ça signifie « me rendre à l’épicentre de mes problèmes »… mais si je veux voir le verre à moitié plein, c’est aussi un moyen de les affronter et peut-être d’en redessiner les fondations. Après tout, ce serait l’occasion de faire mon deuil, de me rapprocher de mon père et de sa nouvelle femme, peut-être de renouer avec Ryûma… Après tout, je me demande ce qu’il est devenu. Sana a grimpé en popularité sur ses chansons comme je le craignais d’ailleurs. En tout cas, il faudra tirer au clair toute cette histoire et… partir du bon pied ou couper les ponts une bonne fois pour toutes.

Ouais, j’suis décidé. C’est une opportunité que je ne peux pas laisser.

Tokyo, me voilà.