Un peu de simplicité dans un monde si complexe-Cullen Buntawaï

Des rires d’insouciance submergent la pièce gaiement, cinq petites silhouettes chahutent. Chacun endossant avec candeur les rôles de policiers et voleurs à la perfection, jusqu’à l’imitation grotesque de la perte du souffle de vie lorsque le policier immobilise sa proie. Des larmes sont versées à outrance juste pour le plaisir de ponctuer la perte d’un être qui nous est précieux comme ils ont déjà pu le voir à la télévision dans les films dramatiques. A cet instant aucun ne se doute encore que dans quelques années ils auront à pleurer la perte de l’un d’entre eux dans une poignante et troublante réalité.

Les enfants de la famille Buntawaï ont toujours été soudés dès leur plus tendre enfance. Une recommandation de leur père qui a du éduquer ses cinq enfants pratiquement tout seul. Etre une mère célibataire n’est pas une tâche aisée, mais être un père célibataire dans la fleur de l’âge, il faut un courage et un sens de la dévotion exacerbé pour réussir à voir ses enfants atteindre l’âge adulte sans avoir eu à manquer de grands choses, si ce n’est de l’amour d’une mère.

Raaja Buntawaï et Cynthia Sayora se sont connus dans la fleur de l’âge. Il n’était pas prévu que leur relation évolue vers quelque chose de sérieux. Cela ne devait être qu’une relation sans lendemain. Un coup d’un soir. Mais voilà l’incontestable en a décidé autrement et un jour tous les deux ont reçu la fameuse lettre. Ils n’avaient plus le choix. A présent mari et femme, ils devaient accepter de partager leur vie ensemble, accepter l’autre dans des univers complètement différents.

Raaja, d’origine indienne, était plus le bon gars que toutes les filles apprécient. Le bon baratineur avec toujours un mot gentil pour vous faire fondre. Sans compter que sa famille possède le plus grand glacier de Tokyo et qu’il n'y a pas deux comme lui pour emballer les filles en leur concoctant des gâteaux portant leur petit nom. De quoi les faire craquer en somme. Cynthia, d’origine japonaise, était plus la tête brûlée du couple. Celle collectionnant les mauvaises fréquentations en travaillant dans le bar de ses parents. Quand elle a repris le bar après leur mort, cette vie dissolue n’a fait que rendre leur vie maritale toxique. Pourtant ils ne pouvaient échapper aux devoirs de l’incontestable. C’est ainsi qu’au bout de sept ans de vie commune chaotique, cinq enfants vinrent remplir les rangs de la famille Buntawaï. Le dernier enfant emporta Cynthia. Cullen fut cet enfant.

Cullen a sept ans lorsqu’il apprend qu’il est celui qui a arraché la vie à sa mère. Une petite crasse d’un cousin jaloux de l’intérêt que Raaja porte à ses enfants. Cette nouvelle déstabilise tant l’enfant qu’il se met à déprimer et se réfugie dans la nourriture. A dix ans, le petit pèse déjà cinquante-sept kilos alors que ses frères et sœurs sont dans la norme. Sujet à de nombreuses railleries qui accentuent le mal être de l’enfant, Raaja décide d’envoyer son dernier fils chez ses grands-parents en Inde. Le père a toujours veillé à ce que ses enfants parlent sa langue maternelle aussi couramment que le japonais. Là-bas le petit retrouve un semblant de stabilité et la présence de sa grand-mère l’apaise si bien que le sentiment de culpabilité s’estompe peu à peu. Cullen se fait même des amis et ses notes à l’école sont excellentes.  Pourtant à seize ans il est contraint de rentrer au japon. Leur père souffrant, les enfants reprennent le flambeau et commencent à gérer le glacier.

Cullen se découvre une passion pour la cuisine et à dix-huit ans après avoir passé des tests satisfaisants, il rejoint une école de cuisine pour devenir pâtissier. Ses frères et sœurs, bien plus âgés que lui évidemment, poursuivent l’œuvre de leur père décédé avant le départ de Cullen pour son école. Un coup dur pour la famille. Mais au lieu de se réfugier dans la nourriture, c’est plutôt dans sa passion qu’il trouve le salut. Ses pâtisseries sont si délicieuses que la clientèle afflue, ce qui a naturellement encouragé la famille à l’envoyer dans cette école pour parfaire sa formation.

Cullen a vingt ans quand il rencontre Prisha. En voyage en Inde pour rendre visite à ses grands-parents, il tombe sur elle au milieu d’un champ. C’est le coup de foudre direct. Du moins pour lui. C’est un peu plus complexe pour Prisha. En Inde une femme n’est pas autorisée à avoir des relations hors mariage. Cet amour reste donc platonique. Cullen devient son ami, à défaut de pouvoir ravir son cœur. Il se met au sport pour perdre du poids. A mesure qu’il passe ses journées avec la jeune fille, sa gourmandise s’atténue. Au bout de trois mois passés en Inde pour ses vacances d’été, Cullen a considérablement perdu du poids, même si quelques rondeurs sont encore perceptibles.

Désireux de dire au revoir à Prisha avant son retour au Japon, Cullen est accompagné par son grand père chez la jeune fille, lorsque les deux hommes assistent à une scène traumatisante.  Au sol, le visage tuméfié, Prisha. Des hommes l’encerclent, tenant dans les mains des pierres, la rage brûle dans leurs regards sanguinaires. Cullen reconnait les parents de Prisha et s’approche d’eux, affolé, il veut comprendre ce qui se passe. La nouvelle tombe comme un couperet ! Prisha a été violentée par un lâche, il lui a volé sa virginité et son honneur, jetant l’opprobre sur toute la famille. Selon les us et coutumes de leur village, elle mérite la mort.

Cullen s’y refuse et s’y oppose farouchement. Soutenu par son grand père, ce dernier lui souffle à l’oreille la solution pour qu’elle soit épargnée. C’est totalement irrationnel ! Mais a-t-il vraiment le choix ? Puis de toute façon pour le japon son acte n’aura aucune valeur. Aussi Cullen se décide à agir. Le jeune homme fend la foule grouillante et courroucée pour se rapprocher de Prisha. Il s’accroupit pour ramasser une pierre aux contours acérés et s’entaille le pouce. Son sang pulse en s’échappant de son pouce jusqu’au front de la jeune femme et Cullen pose la main sur sa tête. En Inde cela signifie qu’il la prend pour femme. De cette manière il restaure l’honneur bafoué et sauve la vie de son amie. Cette expérience laisse un goût amer dans le cœur du jeune homme qui décide de ne plus remettre les pieds en Inde.

Le mariage n’étant pas reconnu au Japon, Cullen doit trouver un autre motif pour que la jeune femme puisse le rejoindre au Japon. Elle reste encore quelques temps en Inde, le temps pour elle d'apprendre la langue japonaise, du moins les rudimentaires. Pendant ce temps Cullen fait une demande de visa de travail. C’est ainsi que Prisha devient une employée du glacier familial. A son arrivée,  elle suit la procédure pour être naturalisée et en profite pour perfectionner son japonais en prenant des cours.  Bien qu'elle conserve son accent, au bout d'un an Prisha est capable de s'exprimer parfaitement en japonais. Elle apprend même à vivre avec les règles de l'incontestable et réalise qu'aux yeux du pays son mariage n'a aucune valeur avec Cullen. Mais avait-elle réellement le choix? Il fallait qu'elle s'éloigne. Fuir la mort pour une dictature, c'est un maigre prix à payer pour sa survie.

Un an plus tard la vie maritale entre Cullen et Prisha est toujours inexistante. La jeune femme a bien assimilé que le jeune homme ne l'a prise pour femme que dans l'optique de lui sauver la vie. Elle lui en sera en jamais reconnaissante. Leur amitié n'a fait que croitre évidemment et tout comme Cullen, Prisha se révèle douée pour les pâtisseries. Elle agrémente même les menus de quelques pâtisseries indiennes, ce qui ne manque pas de réjouir la famille.

Un soir, alors que Cullen et Prisha doivent s'occuper d'une livraison en absence du livreur habituel, la ville est secouée par la manifestation des membres du groupe les incontrôlables. si Cullen cherche à protéger son amie, cette dernière quant à elle prend conscience qu'il est possible de s'opposer à l'incontestable.  L'éventualité de se retrouver mariée avec un parfait inconnu la terrifie réellement, surtout après le drame qu'elle a vécu. Aussi elle conserve dans un coin de sa tête qu'il est possible de se rebeller. Elle en discute avec Cullen qui le plus souvent l'en dissuade. Cullen n'est pas un homme prêt à jouer au héros et ce qui le terrifie lui, c'est de savoir qu'un jour son amie peut se retrouver en cellule ou être exécutée pour désobéissance.

Pourtant  quelques années plus tard, une terreur encore plus grande va le prendre aux tripes quand une catastrophe va s'abattre sur eux et ravager le Japon. Les Buntawaï perdent leur frère aîné. Pendant que le japon se reconstruit et que la famille panse ses blessures autant physiques que psychologiques,  Cullen se retrouve marié à l’âge de vingt-six ans. Heureusement pour lui à une femme. Si le couple n'est pas réellement indisposé par  le dysfonctionnement de l’incontestable qui cesse de diffuser les ordres, il est néanmoins touché par l’épidémie qui fera rage  un mois plus tard.

Cullen perd son épouse, ainsi que son enfant à naître. Mais la mort de son épouse n’est pas la seule à le déstabiliser. Des morts sont annoncées à foison la même année et une chasse à l’homme est lancée. Parmi les fugitifs Prisha. Mariée entre-temps à une femme. Elle ne sera jamais retrouvée. Peut-être qu’elle au moins est libre à présent. Cullen n’a jamais été pour ou contre l’incontestable. Mais une part de lui espère en la réussite de la fuite de son amie. Elle le mérite bien après les malheurs qu’elle a endurés.