La Cité deux dieux

"ça doit être incroyable d'être pape"

Je devais avoir huit ans quand j'ai sorti ça à Jessy devant l'arbre qui perdait ses feuilles à l'ouest de la cour. Il en était pas revenu, mes parents non plus. "Mais plus personne qu'est catho d'puis longtemps" ils avaient dû dire. Je ne sais plus vraiment, c'était une autre époque. Je devais être persuasif malgré tout car dès la sixième, je faisais mon entrée dans l'un des rares pensionnats religieux encore actif qui devait m'accueillir du collège au lycée, trente-six semaines par an et au fil du temps la plupart des week-ends également.

Je n'ai pas grand chose à dire sur les années qui suivirent. Un cheminement linéaire. Nombre de mes condisciples pourtant abandonnèrent. Je restai inexorablement. A chaque fois que l'ombre d'un doute se taillait un passage entre mes convictions, c'était la même image qui revenait. Un champ enneigé. Je n'avais pourtant jamais vu le moindre flocon. Au bout d'un moment, une pluie rouge s'abattait et transformait le paysage. Seul un cercle autour de moi demeurait intact. Je commençais alors à marcher et sous mes pas, la neige regagnait sa teinte d'origine. Ce n'était pas vraiment une révélation. Je ne savais pas expliquer cette vision. Mais j'avais la certitude de ce qu'était mon but.

Plus tard, je rentrais au séminaire. Je n'éprouvais pas plus de difficultés qu'auparavant. Mes aînés m'appréciaient pour ma rigueur et mon sérieux mais semblaient dans le même temps ressentir une gêne lors de nos discussions. C'est le père Blaise qui rompit l'omerta sur ce tressaillement imperceptible qui les prenait tous en ma présence.

« Mon fils, personne ne doute de ta foi. Mais, il y a en toi une froideur que nous peinons à comprendre. Une nouvelle fois, tu œuvres dans ta mission avec une ferveur remarquable, mais tout paraît glisser sur toi, rien ne t'affecte. Ta lumière brasse un je ne sais quoi de mécanique. Mes mots sont durs et je te prie d'accepter mes excuses, mais en ces temps délicats, le guide que tu es appelé à  être doit amener naturellement les autres à le suivre. Tu dois apaiser ces ombres tapies dans le creuset de tes mots et gestes. J'ai une proposition à te faire. »

Nous partions quelques mois plus tard au Japon. Il n'avait pas été évident d'obtenir des visas même temporaires. Pour le père Blaise, cela valait le coup. Sur ces terres où une machine, L'Incontestable, avait assourdi la voix de Dieu, et qui venaient d'essuyer son probable courroux, il espérait me voir me défaire de mes troubles face à une population qui avait plus que jamais besoin de nous. L'éclat d'une révélation pour éclairer ma marche figée.

La « foi » en L'Incontestable était effectivement une sacrée concurrente, sans mauvais esprit. Pour autant, je ne trouvais pas les japonais plus perdus que d'autres. Malgré les destructions de ce qu'ils nommaient « Shukumei » et le silence de leur divinité qui avait suivi, les japonais étaient dotés pour la plupart d'une résilience et d'un optimiste stupéfiants. Ce calme solaire les recouvrait comme le manteau neige de mon paysage mental. Cet écho fut le déclic qui perça ma gangue qui inquiétait depuis si longtemps mes paires. Le père Blaise put rendre un bon rapport.

De retour en France, une nouvelle certitude avait germé. Je voulais être missionnaire au Japon. Les années suivantes, tout en terminant le séminaire, je me mettais avec ardeur au japonais et me renseignais sur cette « dictature », son Incontestable, ses incontrôlables, rebelles étranges qui se montraient rétifs à la paix intérieure et toutes les règles qui organisaient la vie sur l'archipel.

Évidemment, pour la première fois de mon existence, des interrogations complexes m'assaillaient. Ces puces et leur géniteur étaient-ils vraiment compatibles avec Dieu ? Que faire en cas de mariage imposé ? C'était sur bien des points une folie et je fermais les yeux en repoussant ce départ. La neige était de nouveau là. Le chemin s'ouvrait encore et effaçait le sang. Je l'avais toujours arpenté jusqu'à maintenant. Je devais avoir confiance. Si telle était sa décision, c'est que son plan passait par ces impasses que je soulevais. Alors peu importe.  Que j'avance ! Sa main ne manquerait pas de me guider.

Les années 2111 et 2112 furent chargées. La période du System error puis de Soosaku  et enfin de l'épidémie furent des épreuves difficiles pour les populations japonaises et mon arrivée fut retardée. Je passais finalement avec succès mes deux rendez-vous et acceptais la mise en place de la puce.

Il ne m'était évidemment pas possible d'exercer ma vocation de prêtre ici. J'avais toutefois profité de ces quelques années d'attente pour me former au métier de charpentier/menuisier. Comme dans la plupart des pays, ces domaines peinaient à recruter, ce qui peut expliquer en partie, j'imagine,  que mon dossier ait été accepté plutôt aisément.

Désormais, plus rien ne s'opposait à ma quête. J'allais pouvoir mesurer moi-même la proximité entre l'Incontestable et mon Dieu. Allais-je découvrir un apôtre moderne, un quatrième membre à la sainte trinité ou un sombre usurpateur ?

Augustin est comme on le dit dans le nord un « taiseux ». C'est du moins l'impression qui ressort lors des premières entrevues. Par la suite, on remarque que si sa parole est rare, il ne se refuse jamais à répondre pour autant et que son laconisme, malgré le froid qu'il a tendance à installer, n'est en rien une marque de mépris ou de désintérêt. C'est d'ailleurs, et c'est bien normal par rapport à sa vocation, une oreille talentueuse, qui compense son peu de chaleur, par la pertinence de ses interventions et sa capacité à rester neutre, qu'importe ce qu'il lui est dit.  

S'il apprécie la solitude qui lui permet de se livrer à ses lectures et à l'organisation de sa paroisse, il est loin de maintenir à l'écart les autres, et en grand observateur goûte même leur proximité. Encore une fois, le classer parmi les analystes antipathiques seraient une erreur, malgré ses silences et son manque d'expressions, son désir d'être près des autres réside dans son besoin de les comprendre et de s'imprégner de leurs troubles. Apporter une aide aux sanglots nichés dans le cœur de chacun est ce qu'il désire le plus.

Il ne s'était jamais senti véritablement curieux avant de découvrir le Japon. Mais cette dangereuse envie n'a cessé de croître au fur et à mesure qu'il affinait ses connaissances sur l'Incontestable. Ce bouleversement métaphysique a développé chez lui un besoin inédit de mettre à l'épreuve ses certitudes.

Enfin, malgré son calme inflexible, Augustin est sujet également à des moments d'anxiété. Parfois la vision de la neige ne suffit pas, et il a gardé de ses crises, certains palliatifs, cigarettes et alcools, que l’Église ne voit pas d'un très bon œil.  

Augustin a une apparence longiligne qui ne vient pas tant de sa taille (légèrement inférieure au mètre quatre-vingt) que de son corps fluet. Il n'est pas un grand sportif, mais il n'a jamais eu grand intérêt pour la nourriture et a appris très jeune, sur le modèle des saints, à rationner tout ce qu'il pouvait un tant soit peu apprécier. Son teint est légèrement hâlé sans qu'il y ait grande explication, la couleur ne venant ni de sa famille, ni de ses habitudes de vie. Ses cheveux roux, denses et lisses, n'en ressortent que davantage et mettent eux-mêmes en valeur l'éclat d'or de ses yeux noisettes.

Il fait plus vieux que son âge, on lui donne facilement la trentaine, la faute à un air sérieux qui ne le quitte pas depuis l'enfance. La seule obstruction à ce faciès solennel vient en grande partie d'une longue et épaisse mèche que de son enfance à aujourd'hui, ne s'est jamais disciplinée.

Sa tenue vestimentaire est sobre et se compose d'une chemise bleue, grise ou blanche à col romain, d'un veston de laine le plus souvent noir et d'un pantalon de lin dans les mêmes teintes. La seule particularité de son accoutrement réside dans ses indispensables gants. Une rencontre fâcheuse avec un canidé voisin lui a fait perdre enfant, son annulaire gauche. S'il possède une prothèse, il n'en aime pas pour autant l'aspect et il est rare de voir ses mains à l'air libre. Ah, et il porte une cravate noire.

Au travail, il est habituellement vêtu d'une tenue sport (jogging, t-shirt, veste, chaussures de sécurité ...)

Personnage tiré d'un manga/anime/jeu-vidéo/série

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