J'ai fait de mes défauts une passion!

Les premiers flocons de neige recouvrent inéluctablement le sol où des expatriés sont attroupés autour d’un arbre de noël et chantent en chœur. L’atmosphère y est paisible. Les sourires y sont chaleureux et communicatifs. Les regards sont teintés d’une lueur irradiante de bonheur et d’apaisement. C’est une image digne d’un film. Puis soudain des cris stridents de petite fille affolée qui alertent la foule. Les regards convergent dans la direction des cris et le parfait cadre harmonieux se change en une fuite en avant pour esquiver l’enfant qui se dirige en rollers vers l’arbre de noël. Ses parents à ses trousses ne peuvent rivaliser avec l’allure de l’engin de malheur qu’on vient de lui offrir pour les fêtes de fin d’année. Qui est cette petite ?

C’est Shehina Mamuza, dix ans. Depuis sa tendre enfance, Shehina a toujours été maladroite. A sa naissance, elle avait le cordon ombilical autour du cou et le médecin a dû pratiquer une césarienne d’urgence pour lui sauver la vie. A deux ans, elle a essayé d’enfoncer son doigt dans une prise électrique. A sept ans elle a provoqué la chute de tout un rayon dans une librairie et ses parents ont dû passer tout leur après-midi avec elle pour ranger son bazar. Sans omettre le petit dédommagement pour les livres à la couverture déchirée. Un vrai boulet cet enfant. C’est d’ailleurs la seule de la famille a avoir cette particularité. Mais peut-être est-ce dû au fait qu’elle est le seul enfant issu de l’union du nouveau mariage Mamuza. Pourtant la famille Mamuza compte trois enfants. Deux garçons et Shehina.

Les parents de la petite avaient chacun un enfant lorsque l’incontestable les a remariés. Leo Mamuza, un Anglo-japonais et propriétaire d’une fleuristerie, s’est retrouvé veuf avec un enfant dans les bras. Deux semaines plus tard, l’incontestable a fait entrer dans sa vie Kaythia Lthoken, une ukrainienne, sans emploi et également mère d’un petit garçon. Les débuts du couple ont été assez difficiles. Les enfants ont eu grande peine à s’entendre. D’ailleurs entre les parents ce n’était guère mieux. Leur seule passion commune, les plantes. Mais ce n’est qu’à la naissance de leur fille que Kaythia a décidé de travailler avec son époux dans leur affaire familiale. Ce rapprochement et ce soutien entre eux ont fortifié non seulement le couple, mais aussi les enfants. Si Shehina a toujours collectionné les maladresses à l’école au point de s’attirer les foudres de ses camarades ou professeurs, ses frères ont toujours veillé sur elle pour qu’elle ne se fasse pas mal. Mais c’était sans compter ce jour sur le cadeau  des grands-parents paternels vivants en Angleterre et n’ayant jamais eu cas des maladresses de leur petite fille. Naturellement après cet incident Shehina a fini à l’hôpital après s’être écorchée sauvagement le genou.

« She regarde ! il y a une vidéo de toi qui circule sur la toile ? » S’exclame sur une pointe railleuse Henri, l’aîné de la famille, en montrant la vidéo sur son téléphone.

-Fais voir ! S’écrie Azhar, l’autre frère de Shehina.

La vidéo semblait être devenue virale. Les commentaires étaient mitigés. Les uns se moquaient, d’autres la plaignaient. Mais ce qui était sûr, c’est qu’on parlait d’elle et Shehina n’aimait pas être l’objet d’attention. Surtout pour ses nombreuses bêtises. D’autant que sa blessure au genou était assez grave pour ne pas en rire. De la rééducation fut nécessaire et c’est à cette époque qu’elle se prit de passion pour la natation. Le seul lieu où elle se sentait en sécurité, à l’abri des dangers de sa maladresse. Elle enchaîna même avec des compétitions et la petite fille maladroite devint rapidement une adolescente énergique et habile.

Les enfants votre mère ne va pas très bien. Elle va rester quelque temps à l’hôpital.

Quand la mère de Shehina est hospitalisée pour lutter contre un cancer qui la ronge, l’adolescente est âgée de dix-huit ans. En revenant d’un voyage sportif où elle avait remporté le premier prix, Shehina est tout de suite allée voir sa mère à l’hôpital. Partagée entre l’angoisse et l’excitation d’avoir gagné le premier prix, l’adolescente avait renoué avec ses anciens travers.

A peine entrée dans la chambre, qu’elle trébucha, envoyant valser le trophée dans les bras du médecin qui agita les bras en l’air comme un poisson hors de l’eau avant de s’étaler au sol. Malgré la situation préoccupante de Kaythia, cette maladresse arracha un rire franc et joyeux à toute la famille et même à sa mère. Ce fut la première révélation pour Shehina. Ses maladresses n’étaient plus un calvaire pour sa famille, mais un moment de répit dans la bataille.

C’est ainsi que les mois suivants, Shehina multiplia volontairement les maladresses pour détourner l’attention de la famille. Les voir se moquer d’elle n’était plus aussi dérangeant qu’à l’époque. Bien au contraire, elle se sentait moins mal, elle supportait mieux l’état de santé de sa mère ainsi. Mais ce ne fut pas suffisant pour qu'ils oublient, qu'ils n'aient pas de chagrin. Oui Kaythia succombe à la maladie un an plus tard. Sa famille bloquée dans les bouchons à cause de la manifestation des incontrôlables, c’est seule que l’adolescente voit sa mère s’éteindre.

Après l’avoir entendu rire une dernière fois à un de ses numéros de maladresse qu’elle maitrisait à la perfection à présent. Avoir été capable d’apporter de la joie à sa mère avec un peu d’humour, a aidé l’adolescente à se révéler entièrement. Abandonnant la natation au profit de vidéos de sketchs pour malades en phase terminale qu’elle tourne avec ses frères. C’est aussi à cette époque qu’elle intègre une université d’art pour se perfectionner dans le domaine.

Mais son apprentissage est interrompu lorsque le japon est dévasté et qu’elle perd son père et son frère ainé Henri.  Un bâtiment s’écroule pendant qu’ils sont à l’intérieur. Aucun survivant. Azhar et Shehina ont du mal à s'en remettre. Mais ils reprennent l’affaire familiale. Un an passe avant que son frère se retrouve marié à son tour. Son frère lui parle d’un problème avec les moniteurs qu’elle ne comprend pas très bien, n’étant pas mariée pour que cela l’intéresse suffisamment.

Jonglant entre la boutique qu’elle gère avec son frère et ses représentations nocturnes, Shehina ne s’inquiète pas lorsqu’elle commence à présenter quelques signes de maladie. Ne se doutant pas alors qu’elle est touchée par une obscure épidémie. La boutique ferme momentanément ses portes, car son frère aussi est souffrant. Mais heureusement personne ne succombe à ce mal. Par contre l’épouse d’Azhar prend la fuite quelque temps plus tard, profitant d’un dysfonctionnement des puces pour disparaitre. Mais elle sera retrouvée et reconduite dans son foyer par la force. Shehina n’a jamais été pour ou contre l’incontestable. Mais savoir que son frère vit avec une femme qui ne désire pas être près de lui, l’angoisse un peu. Qu’est-ce qu’il adviendra d’elle quand son tour viendra ?