
Ni les journées de farniente qui coupaient toute production d’énergie, ou les journées épuisantes qui vous en prenaient trop, ne venaient à la cheville de la drôle d’exhaustion des jours qui vous harassaient intellectuellement. Quand on vous pressait d’empathie, vous plaçait dans des situations pénibles et que vous n’aviez aucun lieu de repos - car le mien avait disparu derrière ce déménagement - quand votre pause finalement serait remplacée par rencontrer votre future femme ailleurs que dans une salle de lycée dédiée à l’art, voilà qui méritait un bon coucher. En bref, la somme des mauvaises stimulations faisaient de votre cerveau une pauvre victime des circonstances et toutes les douleurs restaient encore longtemps, imprimées par l’adrénaline du stress. Je me sentais encore vaseux de tout ce que j’avais traversé, mais rien qu’un bon coup d’eau ne pouvait rompre. D’ailleurs, j’avais acheté au petit supermarché d’en-bas une superbe bouteille de champagne de marque italienne, c’était à conserver au frais jusqu’à la dernière minute. J’en avais pris un des pays du sud pour qu’il soit le plus sucré - quelqu’un qui ne désirait pas boire du whisky peut-être avait le palais plus enclin à des tons plus doux.
Première chose arrivé que je me permis de faire et que je ferais souvent : fumer sur le balcon, vers le lointain, à contempler le gloubiboulga urbain, même si ça manquait de vue imprenable en contrebas. Il n’y avait que dans les films qu’un réalisateur qui contrôlait sa scène comme il l’entendait pouvait enjoliver la mélancolie de l’être avec des paysages généreux dans le décor, mais ingrats dans le bitume sale. Je n’avais qu’une vue imprécise de Tokyo derrière d’autres bâtiments tout aussi paumés que moi. Je profitais doucement du vent, qui au moins, ne trahissait jamais. Il savait disperser telles des cendres les noires pensées. Ma braise fragile affrontait les torrents aériens qui à cette hauteur faisaient loi ; le symbole plus la fatigue, il me semblait ne faire qu’un, sur le plan intellectuel, avec ma fragile cigarette.
Le temps d’après, place au travail, je cuisinais plusieurs entrées pour accompagner un grand okonomiyaki sous les conseils avisés de ma mère qui depuis son téléphone bloqué entre mon oreille et mon épaule, hésitait entre de la tendresse pour son poussin enfin marié et le mépris envers ses compétences culinaires. Oh, elle avait hâte de voir la mariée mais je lui avais demandé d’attendre le temps qu’elle et moi nous connaissions un peu avant d’oser aborder la belle-famille, il fallait laisser la relation grandir et prendre son poids et perdre ses plumes - et surtout, mais je le gardais pour moi, espérer que Jia soit sortable. Elle était l’enfant sauvage et ma mère, une pauvre vieille dame qui n’attendait plus que la vie l’éteigne pour aller voir ailleurs. Si elle fut autant une aide précieuse et avant tout patiente, je le devais à ma raison invoquée de mon appel et brandie comme un fanion en guise d’excuse : premier dîner entre un époux et sa femme, manquer le coche serait une malédiction, non ?
— Mais cela fait longtemps que tu as reçu ta lettre, n’est-ce pas ? Tu nous avais prévenu le jour même ?
— Le jour-J Maman. Mais Jia avait beaucoup de travail, elle s’est arrangée pour venir aujourd’hui avec ses cartons, mentis-je sans aucune honte. Ma mère avait ce comportement qu’on retrouvait chez les personnes les plus manipulables mais certainement les plus pures, qui ne cherchaient jamais à savoir si on leur mentait ou non car elles accommodaient sans peine un peu de latitude à ceux qui avaient du mal à assumer la vérité. Elles trouvaient toujours une raison supérieure chez l’autre et leur faisaient confiance de ne pas trahir leur confiance pour rien.
— Vous êtes deux gros travailleurs alors ! N’oubliez pas vos devoirs du soir.
— Mon contrat sera réécrit normalement, j’ai prévenu la direction, j’aurais plus de temps libre. Je croise les doigts. Tu sais, entre ce qu’ils disent et la réalité…
— Oui. Si tu sais qu’elle arrive, c’est que vous avez déjà pris contact ? Ah, la curiosité la rendait bien finaude, voici un virage anguleux qui me prenait de surprise.
— Elle a trouvé mon nom sur le net. Pour me prévenir de son arrivée.
— Elle est prévenante et entreprenante. Merci maman.
Avec un peu de recul et de défaitisme, je compris mieux pourquoi Jia cherchait autant à me provoquer. Ne voulait-elle pas aller en cellule à la base ? Et si, voilà. Je pensais que comme j’avais détourné Jia de l’expression de sa rébellion, elle s’en était trouvée une autre : me casser les couilles. Cela sonnait comme une blague mais je trouvais un fondement à ma réflexion. Jia n’était pas le genre à militer, cela, je me l’étais déjà dit, alors que lui restait-il si elle ne pouvait pas se complaindre juridiquement ou politiquement ? Elle allait m’attaquer personnellement. Lui plaire relevait alors un double-enjeu : m’allier à la seule personne qui aurait le droit de m’aimer, et empêcher que celle-ci me tourmente. Il y avait un évier dans son âme qui s’appelait Bovary et si je perdais du temps, elle pourrait y glisser et faire peser tous mes malheurs sur ma modeste personne qui n’avait pas réussi à la faire se sentir libre. Et au moment où Jia pèterait les plombs… J’étais en danger de mort.
Les souvenirs d’Eirin qui se lançaient dans les bras d’un amour pour y trouver le septième ciel puis le ciel tout court, me hantaient encore. Qui savait ce qu’une personnalité comme Jia pourrait commettre alors ? Et le mari à qui Eirin avait été promis, que lui était-il arrivé ? S’ils ne s’étaient jamais croisés, peut-être avait-il été rescapé des sanctions mortelles que prenaient le gouvernement même contre les cocus. Peut-être. Si Jia souhaitait faire une connerie qui l’impliquait elle, elle pouvait encore : tant qu’elle n’avait pas posé les pieds dans l’appartement, nous ne nous étions jamais officiellement rencontrés.
Mais la sonnette brisa ces réflexions en miettes et la porte coulissa ensuite ; Jia avait les clefs. Chef d’orchestre de mon concert en cuisine, je fis claquer tous les fours et les plaques nécessaires, lancement de la cuisson. Alors je vins vers elle, habillé d’une chaude chemise bleu au ton doux nettement plus distinguée que mes habits d’hiver de la journée et je l’aidais à tenir la porte.
— Tu as besoin d’aide pour tenir les cartons ? Et sans attendre de réponse, j’en pris sous mon bras pour débarrasser Jia. Je te laisse visiter. C’est grâce à toi qu’on est aussi bien logés, n’est-ce pas ?

Les plus du perso :
Je suis: neutre.
Époux/se : Toson Hirai pour son plus grand bonheur (♥)
Autre: Toujours dispo pour une recherche de liens


Rester longtemps peinard
Avec tes idéaux illusoires ?
En pénétrant dans ce lieu ennuyeux, vide de tout bazar harmonieux, tu pensais ressentir un pincement au cœur. Après tout, le quitter revenait à reconstruire quelque chose ailleurs. Pourtant, tu ne veux pas jouer les imposteurs et nier n’avoir été ici qu’un simple spectateur. C’est donc en simple visiteur que tu allas récupérer le peu d’accessoires d’hygiènes disséminées autour de l’évier pour les jeter avec froideur dans le premier petit carton à ta portée et dont la place te permettait de le combler avec les indispensables pour aller travailler.
Finalement, ce fut plus facile que tu ne le pensais.
N’ayant jamais été attachée à cet appartement t’appartenant
Et que tu louais avant de devoir toi-même l’occuper
Une fois la rupture arrêtée.
En témoignent les boites entassées dans diverses pièces inoccupées, les vêtements jetés à même le sol sans jamais les avoir rangés auparavant, le cendrier enivré de tous les cadavres consumés, les cartons de plats cuisinés ne cessant de déborder de la poubelle trop souvent oubliée...
Tout avait été laissé à l’abandon, à commencer par ta santé, tes pensées et tes poumons.
C’est dans cette ambiance mélancolique, au milieu de ces vieilles reliques dont tu ne saisies pas toutes les symboliques que tu réalises à quel point tu as l’air pathétique. Un peu trop baissée pour placer ces quelques tenues de nuit afin d’éviter le jogging à motif fleuri –et les moqueries de ton mari bien que tu ne saches pas grand-chose sur lui à part ses convictions sur votre collaboration pour rendre supportable cette nouvelle vie–, tu fis tomber l’enveloppe rosée qu’il a utilisée pour te confronter à la réalité de tes responsabilités. Celle dont le contenu a scellé toutes possibilités d’embrasser toute forme de témérité et d’intimité lorsque l’occasion se présentait.
Pire encore, tu allais peut-être devoir supporter un troufion.
Ne sachant pas encore s’il s’agit d’un zircon ou juste d’un con
Qui aime le bourbon
Et évite de se retrouver enfermé en prison
Pour une gamine sans grandes convictions.
Comme Achille et son talon
Ou un poisson mordant à l’hameçon,
Prise au dépourvue dans cette situation,
Le python s’est transformé en chaton.
D’un geste oscillant, à l’inverse de ton comportement habituellement, tu finis par la ramasser avant de lui chercher dans le tas de courrier non trié sur la table à manger sa jumelle volontairement ignorée. Les voir ainsi réunies te fait prendre conscience à quel point tu es démunie.
Simple marionnette dans cette partie d’échec, c’est un nouveau soupire pète-sec qui marqua la fin de cette partie souvent enfouie de ta facette. Tu préférais de loin te faire passer pour une casse-noisette un peu malhonnête qu’une éternelle tristounette.
Ne sachant pas si Toson, par souci de sentimentalisme ou d’un formalisme par automatisme, souhaitait garder un souvenir de ce qui vous a lié, tu t’es empêché de jeter l’un des deux courriers. Tu t’es alors contentée, ne connaissant ni adresse ni code à taper pour entrer, de tout refourrer dans ta poche comme si de rien était avant de lancer une recherche Google pour trouver une compagnie spécialisée dans les déménagements de particulier.
Le numéro composé, tu pensais devoir raccrocher vu l’heure tardive pour les contacter mais l’un finit par décrocher d’une voix essoufflée. Tu suspectais qu’il ne soit pas juste un employé pour la disponibilité qui semblait lui incomber. Etonnée de te retrouver avec un interlocuteur, quelques secondes sont passées avant que tu ne te décides à t’engager mais surtout à marcher pour diluer tout ce merdier t’obstruant le peu de matière grise encore vacant.
- Bonsoir, excuse-moi de vous déranger ça serait pour organiser un déménagement de dernière minute suite à la réception d’une lett.. Enfin d’un mariage.
- Bonsoir. Normalement, il y a deux semaines de délai d’attente mais une personne a annulé après demain dans la matinée. Cela vous irait ?
-Oui, bien sûre ! C’est parfait ! Je vous transmets l’adresse - attendez ! Le temps de ressortir l’un des papelards et ses propos blasphématoire pour lui épeler la nouvelle rue concernée et le lieu de départ où tout récupérer.
Sur ce rendez-vous calé à l’arrache comme à ton accoutumé, tu vins à raccrocher pour souffler avant de commander un taxi via une application récemment téléchargée. Deux bonnes choses de débarrasser. Il ne te restait plus qu’à te rendre au domicile que tu viens de mentionner... Sans avoir aucune idée de ce que tu allais y trouver, n’ayant pour seul renseignement que c’est un appartement.
Beaucoup moins confiante à l’idée de le retrouver dans ce lieu étranger que dans cet établissement familier que tu as arpenté des milliers de fois depuis neuf ans déjà. Rien que d’y penser... y a un excès de salive que tu as dû ravaler. Ce n’est plus le moment de tergiverser ; tu ne peux plus t’évader sans éreinter encore davantage ta fierté.
Attrapant le bristol chargé, tu trouvais finalement ça un peu léger comme affaires à emporter alors sans chercher à tout révolutionner, tu es vite retournée dans ta chambre pour attraper un autre contenant quelques vêtements en y ajoutant des sous-vêtements et une serviette. Ça paraissait plus complet... pour aller travailler et pouvoir te changer jusqu’à ce que le reste soit livré.
Une dernière œillade, ressemblant plus à une fusillade, vers le salon meublé qui restera tel quel pour le prochain locataire qui signera pour en payer le loyer, tu refermas la porte du pied avec les bras chargés de deux cartons empilés jusqu’au rez-de-chaussée.
Est-ce que je n’ai vraiment rien oublié ?
Sentiment fondé, heureusement tu l’as remarqué en posant tes affaires dans le coffre du conducteur avant qu’il n’ait commencé à rouler.
- Excusez-moi, je reviens tout de suite !
Au pas de course, tes jambes s’élancèrent dans la cage d’escalier facilement enjambée par deux sans tomber après de nombreux essais, pour retrouver ton [ancienne]cuisine et son plan de travail sur lequel est posé ton sac à main tantôt oublié. Comment te serais-tu réveillée sans téléphone et chargeur adapté ? Après tout, tu ne comptais pas te reposer sur l’aide de ton époux imposé.
Réflexion qui fut rapidement balayée au rythme de ton souffle saccadé parce qu’il était trop tard pour jouer l’indépendante de son côté ; n’avait-il pas dit qu’il allait vous préparer à manger ? La redevabilité était présente d’entrée, tu n’avais plus aucun moyen de la repousser.
La seule chose que tu pouvais t’interdire était de rallonger le poids de la dette entamée pour ne pas l’alourdir.
C’est dans cet état d’esprit que tu mémorises le code d’accès pour ne pas avoir à l’appeler.
Je vais me démerder !
A chaque porte blindée, après avoir remercié l’automobiliste rémunéré, tu déposes les colis à même le sol pour composer les chiffres de sécurité avant de les ramasser pour continuer.
Je ne remercierai jamais assez l’inventeur de l’ascenseur, un homme intelligent parmi cent.
Surtout lorsque le logement se retrouve au dernier étage de ce grand bâtiment, en périphérie du centre-ville.
Rien à voir avec tes petits quartiers résidentiels de maisons individuelles que tu as l’habitude de côtoyer. Même si ça reste côté, tu as rarement fréquenté des rues si peuplées, pour ne pas dire surpeuplées. Tu te sens suffoquer derrière ton allure assurée de fille blasée mais ce n’est pas l’heure de craquer. Buste gonflé malgré l’appréhension de la dernière frontière à passer, tu effectues la même manœuvre que précédemment citée, obstruant volontairement le petit tremblement qui t’envahit et trahit.
A peine la porte passée, tu fais demi-tour pour te tourner et ramasser ce que tu as abandonné qu’une main maintient l’ouverture sans que tu n’aies à caler ton pied. En temps normal, tu les aurais remballés, lui et sa générosité difficile à détester mais il a été trop rapide pour que tu puisses refuser, te retrouvant dans la promiscuité des quelques mètres carrés faisant office d’entrée avant de refermer.
A ta gauche, une première porte fermée. Une autre, située en face de toi, encore entrouverte semble être la salle de bain au vu du carrelage posé. Et puis, pour finir, à ta droite aucune séparation n’est à observer, ton regard va directement sonder la cuisine au plan de travail disposé à l’horizontal.
Tu peines à le distinguer, entendant à peine sa voix percer entre le bruit du repas qui cuit et de ton attention concentrée sur tes effets accumulés les uns sur les autres pour ne pas les faire tomber. Tu envisages de tout poser mais difficile dans cet espace serré. T’es sur le point d’avancer, ne voulait ni trébucher ni lui marcher sur les pieds, tu aurais marché à l’aveugle en priant réussir sans perdre ta dignité dans l‘allée avant que l’incrusteur ne vienne à nouveau frapper –ou plutôt, te libérer d’une partie des charges qui semblent t’acculer.
Toi qui ne comptais pas te reposer sur lui, ton nouveau mari... Entre le repas cuisiné, les numéros échangés, les futurs sorties programmées, te voilà déjà plus qu’engagée... mais peut-on réellement l’être plus que la vie commune exigée ?
- Grâce à Mr et Mme Lee, rectification ! Tu devrais savoir que les journalistes se feraient un malin plaisir de les dénigrer si après avoir adopté une coréenne, ils venaient à la rejeter sans un centime une vingtaine d’année plus tard... L’opinion publique a plus de valeur que quelques immeubles... annonces-tu sur un ton de présentateur télévisé prêt à annoncer le JT.
Pour une fois, t’as beau utiliser le sarcasme pour t’exprimer, chaque mot prononcé est cruellement pensé. Ce n’était pas l’amour qui vous liait mais la réalisation d’une bonne action et le fruit de sa contrepartie.
Consciente que pour la plupart des gens, ce qui a le plus de valeur c’est l’argent, tu es une ingrate non reconnaissante, tu pourrais développer toutes les raisons qui t’ont fait détester leur choix de t’adopter mais tu doutes que cela puisse intéresser. Encore moins que tu aies la force de te livrer même si ta spécialité est de balancer de réels faits de ton passé pour juger les autres sur leur manière de se comporter.
Pour une fois, le sarcasme n’était que ta façon déglinguée de communiquer.
- Et merci pour ça, pointant du doigt tes affaires dans ses bras, j’aurai pu me débrouiller ! Je n’ai pris que ça pour l’instant pour ne pas faire fuir le chauffeur du taxi en me voyant. Le reste arrivera après-demain normalement dans la matinée...Si j’ai bien compris à cause d’un désistement de dernière minute, ils ont pu me caler avant la semaine prochaine. Ne sachant pas s’il a compris au vu de son expression égarée, tu t’es sentie de préciser. La société de déménageurs. Ne sois donc pas étonné de ne plus pouvoir marcher ce jour-là. J’essaierai de ne pas prendre le même délai pour les ranger, soulignas-tu en lui lançant un clin d’œil.
Prendre les devants avant de se prendre un pique dans les dents, c’est ton nouveau credo depuis l’épisode dans la salle d’art dédiée aux ados.
Ce n’est qu’à cet instant, après tout ce temps, que tu réalises qu’il est vêtu différemment. En parfait contraste avec toi qui ne t’es pas encore changé, tu te sens gênée d’être encore encrassée par ta journée. Tu n’oses même pas baisser les yeux pour observer d’éventuelles traces laissées par le trajet chargé. Réalité évitée, tu te contentes de retirer tes baskets sans te baisser à l’aide de tes pieds avant d’avancer pour pénétrer dans la seule pièce sans porte à tirer ; la plus grande pièce faisant office de cuisine, salle à manger et salon. Tes pupilles s’attardent automatiquement, instinctivement, sur cet escalier en colimaçon. Le carton posé à côté du canapé, tu as le loisir de relever la tête vers le plafond à sûrement cinq mètre de haut pour la partie non occupée par la mezzanine ouverte à l’allure cocooning.
T’aurais aimé avoir quelque chose à ajouter.
Un petit truc à chipoter.
Pourquoi pas même rouspéter,
Mais là, à vrai dire, t’es juste émerveillée.
Assez que ta bouche reste fermée.
C’est donc dans un silence irrégulier que tu as enfoncé la première -et seule- porte te projetant dans ce qui sera la seule et unique chambre au grand lit à partager. Buanderies et armoires intégrées, rien n’a été oublié... si ce n’est votre manque d’affection dans pareille obligation. D’un pas moins lent, trop confrontée aux futurs événements que tu ne puisses contrôler, tu préfères t’extirper pour revenir à l’entrée face à ces deux portes à l’intimité sauvegardée. La première, jusqu’à lors totalement fermée, n’est rien d’autre qu’un WC séparé de la seconde dont la destination avait déjà été devinée de par son aspect carrelé.
Un détail ne manque pas de t’échapper, laissant ta réflexion filer pour se propager encore les bruits de casseroles et de poêles dont tu as toujours eu du mal à comprendre l’utilisation.
- Pour ceux qui aiment les bains, il faudra aller au Onsen ! Je ne sais même pas s’il y en a dans le coin... En référence au seul bac de douche présent sans aucune possibilité de se faire couler un bain pour noyer les contrariétés de la journée. Habitude que tu as toujours adorée et à laquelle tu allais devoir renoncer...
Pour finir, même si tu ne voyais pas pour quelle occasion tu t’y rendrais – et cacher ton intérêt pour ce lieu que tu prétends ignorer, tu termines tes observations par la pièce ouverte sur le salon et uniquement accessible par ce fameux escalier en colimaçon. Une pièce supplémentaire tenant office de bureau et bibliothèque sûrement plus utile à ton partenaire. Après tout, pourquoi une surveillante aurait-elle besoin de cet espace ? Tu n’étais pas enseignante...
- J’ai vu qu’il y a des portes fenêtres aussi. Je vais finir par inspecter l’extérieur et m’en griller une, si j’en ai le temps ?
Ta question à son intention n’était pas réellement une interrogation mais plutôt une affirmation sur le ton de l’hésitation. Pour preuve, tu commences à faire coulisser l’ouverture avant même de connaître sa posture. Par respect – ou plutôt le temps de récupérer les baskets que tu as laissé à l’entrée, cela te laisse le temps de l’écouter même si cela n’aurait rien changé.
Un dernier pouce en l’air en guise de remerciement pour la prise en compte de ton besoin d’éloignement, ton corps ne tarde pas à s’engouffrer dans l’obscurité sans même penser à chercher une source de luminosité.
Ayant choisi volontairement de tolérer l’unique lueur suscitée par ton briquet, elle ne tarde pas à claquer au profit de la cigarette que tu viens d’allumer et dont la nicotine a déjà commencé à t’empester.
Accoudée contre ce garde-corps à l’aspect troublé, plus rien ne semble te terroriser plus que cet étrange sentiment de fluidité comme si ton arrivée n’était que la poursuite d’une habitude déjà ancrée. Non. Tu ne voulais pas t’y habituer, ne pas assumer qu’en découvrant chaque pièce des idées de décoration commençaient à germer. Ne plus te projeter comme tu l’as si bien fait, c’est ce que tu veux continuer. Jusqu’ici, tu t’étais bien débrouillée...
Tu dois juste feindre et repousser cette envie d’éclairer ce qui semble t’entourer.
Ne pas découvrir et ignorer,
C’est ce qui allait te permettre de ne pas aimer.
Pas vrai ?
La sucette cancéreuse consumée dans son intégralité, tu enfonces le filtre dans le cendrier avant d’y retourner parce que tu ne peux pas indéfiniment te cacher. Ne pas oublier de retirer à nouveau tes pompes sans te baisser, ça pourrait être considéré comme de l’irrespect même si pour toi, à force de ne pas être accompagné, t’as souvent commencé à t’affranchir de ces règles qui t’ont lassées.
- Bon, et cette bouteille de whisky existait-elle vraiment ou n’était-ce qu’un leurre pour m’appâter tel un chat de gouttière affamé ?
Blague pourrie pour faire diversion et faire taire cette pression qui ne cesse de t’appuyer sur les poumons, tu retires pour la première fois ton manteau pour l’accrocher contre la chaise sur laquelle tu décides de te poser.
Coudes appuyés sur la grande table taillée dans un bois corsé, tes mains finissent par s’entrelacer pour éviter de gigoter. Boire n’était sûrement pas une bonne idée, encore moins lorsque tu penses te rappeler vaguement de ta première soirée de mariée après la grosse murge que tu t’es infligée.
- T’as préparé quoi de bon à manger pour « marquer le coup » ?
Changer de sujet était sûrement préférable pour ne pas tenir des propos que tu pourrais regretter, un comportement que tu ne serais pas digne d’assumer...
Bien que cela ne t’empêcherait pas de refuser si un premier verre venait à t’être versé.
Parce que tu étais capable de bien pire
Qu'une petite nuit à croupir
Au mitard
pour un petit retard.
J’essaie de t’avertir de ne pas me servir lorsque je te dévisage avec acharnement. Cependant, vas-tu l’entendre même silencieusement ?
Code par KoalaVolant


Il m’était encore difficile de savoir ce que je pensais de tout ce projet. Je n’étais pas âme à me féliciter que des grandes choses arrivent car je n’estimais jamais ma poigne suffisante pour me hisser à leur niveau et jouir des opportunités qu’elles proposaient. Pourtant, je tentais de redresser la tête devant mon mariage. La tâche me paraissait aussi complexe que n’importe quelle autre trop large pour que je l’appréhende sereinement mais j’irradiais un peu d’une confiance en moi, j’en avais tout l’impression. Peut-être bien parce que je n’avais pas le choix. Ou alors il était commun qu’au commencement de toute chose quand rien n’était encore perdu, tout était encore à croire. Le bouleversement dans ma vie était telle que je n’avais aucune donnée qui me jetait dans le précipice du désespoir, les cartes que le destin m’avaient distribuées le destin pouvaient être tout à fait neuves et j’en avais retourné une aujourd’hui et il s’était avéré que si ce n’était pas une figure, la première rencontre avec Jia valait bien un neuf, ce qui n’était pas trop mal.
Replongeons dans le terrain : Jia avait bel et bien concédé qu’elle était coréenne, adoptée alors qu’elle était enfant et qu’il y avait du cambouis sur la relation avec ses parents. Elle avait des secrets qui pesaient plus légers dans son cœur que d’autres. Une foule de questions se précipita au donjon de ma gorge mais les portes restèrent closes. N’allons pas trop vite et laissons la dame respirer.
— Les journalistes ne sont pas des fouilles-merde. Enfin, pas tous, plaisantais-je sur moi-même en posant son carton sur la table pour lui laisser le temps de se poser et retirer ces chaussures. Enfin, je sais, il en suffit d’un, hein ? Quoique, j’ai déjà entendu parler d’un milliardaire dont la fille, qui travaillait sous ses ordres venait d’accoucher. Il lui a refusé ses congés maternité et l’a sommé de revenir bosser avec à peine trois jours de repos pour s’en remettre. Mais ça, ça n’est jamais tombé dans l’oreille des masses.
Comme je disais, pas *tous* des fouille-merdes. Mais mon histoire était parfaitement authentique, il fallait juste me croire comme ce n’était pas officiel. Puis mon but, c’était un petit coup de coude, une anecdote qui soulignait avec un clin d'œil que ouais, les parents riches pouvaient être des connards, n’est-ce pas ? Une tentative de rapprochement.
— J’ai déjà reçu mes cartons, ils sont posés ici et là dans l’appartement, tu les verras un peu partout. J’attendais les tiens avant de déballer. Puis on pourra réfléchir ensemble à un agencement qui nous convient.
Pour le reste, je laissais madame inspecter tel un chat dans un nouvel appartement, son nouveau territoire pour me rapprocher de ma cuisine et vérifier qu’avec son arrivée, je n’avais pas commencé à tout faire griller d’un côté. Je réarrangeai les choux, les oeufs, vérifiai les cuissons et versai quelques épices, puis quand elle s’en alla pour s’en griller une, je commençais à mettre la table en disposant en plus des couverts, les différentes entrées, l’eau et la bouteille de champagne. Je n’avais plus la mère au téléphone pour me guider mais j’allais juste entretenir ma mémoire pour finaliser le plat sans entorse. On serait assis, tous les deux ensemble… C’était l’épreuve facile. Juste de la conversation et on avait déjà dégrossi le bout de gras avant, ce n’était que de simples formalités…
Enfin, ce fut ce que je pensais… Elle revint dans le salon après quelque temps - j’avais calmé les plaques pour ne pas brûler le plat - et demanda où se trouvait la bouteille de whisky dans un ton qu’on pouvait placer entre l’humour passif-agressif et la politesse. Elle était impensable et je poussais un soupir avant de me baisser pour farfouiller dans la commode ; je faisais le deuil de ma sollicitude pour lui fournir autre chose et je me dépêchais de grommeler en récupérant la bouteille de sa cachette :
— Je pensais que t’aimais pas ça, j’étais allé te chercher autre chose. Si tu veux encore, pour l’apéro. Je la posai fermement contre la bouteille de champagne italien, trônant au centre de la table, la reine de sa cour, afin d’en faire l’image de mes efforts pour elle, qu’elle comprenne que je tolérais pas bien la perte de temps. Dis-moi ce que tu veux boire, qu’on trinque enfin à notre mariage. Et on passe à table, c’est prêt. Tu peux piocher dans toutes les entrées, après, c’est un okonomiyaki. Le pic de mes talents culinaires. Elle était prévenue. Je n’en tirais aucune honte, elle avait déjà fait part de sa nullité. C’était moi, l’adulte responsable quand il était question de fourneaux. Courte victoire.
Nous trinquâmes quand elle se fut décidée ; bien que dans mon ton de voix j’avais laissé comprendre que je ne portais pas énormément d’attention au bruit de nos deux premiers verres qui s’entrechoquèrent, je ressentis tout de même un léger frisson quand nos deux regards se pénétrèrent dans l’autre. Il y avait là de quoi faire tenir toute une scène de cinéma sans le moindre dialogue. Ou écrire un opéra. Deux individus qui célébraient sans trop y croire, trop incertains, les chaînes qui les clouaient l’un à l’autre. Les yeux de Jia, je pouvais y lire quelques océans, quelque chose d’indéchiffrable, que peut-être que je ne comprendrais jamais. Qui savait - Jia peut-être ? - ce qu’on cachait consciemment ou inconsciemment à l’autre quand on était son prisonnier et que rien ne nous sauverait d’un secret mal déballé ou d’une mauvaise phrase. Au moins, en couple normal - secondaire - vous aviez toujours le choix de partir. Ici, il faudrait supporter l’autre dans son poids le plus intégral alors n’était-ils pas normal d’ôter à sa vue certaines parties de sa personnalité ?
Dans sa pupille qui n’attendait rien de moi et qui me cachait encore tout Jia, j’y trouvais pourtant de l’espoir. L’Incontestable ne nous avait pas mis ensemble par hasard, je n’arriverais pas à croire à un complot pareil même si les Incontrôlables avaient laissé courir cette rumeur pour saper la légitimité de la Machine, mais moi, j’y croyais, à ces algorithmes, je leur adressais une foi particulière qui leur laissait tout de même dans ma religion, une marge d’erreur - c’était comme croire à un dieu unique maladroit, mais tout de même capable de créer la Terre. Voilà ce en quoi je raccrochais mes espoirs : je ne comprenais pas encore très bien pourquoi nous étions ensembles. Ses manières me paraissaient grossières, assez insouciantes, elle se défendait constamment et commençait déjà à comprendre comment m’irriter (comme cela sonnait triste, que ce fussent à elle ses réflexes pour apprendre à me connaître). Mais ce n’était que le premier contact. Je faisais confiance à l’Incontestable car je me disais, devant ces yeux, que ce qu’elle y camouflait à ma vue serait un trésor qui correspondait aux miens, et que nous étions compatibles non pas dans les manières, mais dans la beauté de nos âmes, dans la profondeur de notre personnalité et dans les mystères que nous avions déterré de la vie. Que peut-être que nous étions connectés à des niveaux hors de notre portée consciente et que nous glisserions peu à peu vers l’amour, jour après jour, sans même nous en rendre compte.
Je bus ma première gorgée de whisky.
A la mienne.
Une seconde gorgée.
A la sienne.
Par manque de courage peut-être, ou alors pour évacuer d’emblée les logistiques ennuyeuses, je parlais à Jia entre deux entrées l’organisation du déballage des affaires et quelques ambitions qu’on pouvait partager pour envahir ce lieu et nous le donner à nous. Ce n’était pas une conversation intéressante, et le plat était potable, plutôt pas mal, pas la catastrophe annoncée. Mais voilà, qu’on passe à autre chose, quitte à être chiant maintenant. N’était-ce pas le rôle que je m’étais attribué en venant la voir directement, en grand gardien des bonnes mœurs ? On faisait l’inventaire des affaires qui prenaient leur place et je me permettais même de dévier pour demander ce qu’elle voudrait elle et qu’on n’avait pas encore, qu’on s’autorise pour notre déménagement quelques folies, ce qu’on n’avait jamais pu s’offrir. Je me prendrais bien par exemple, une fontaine de chocolat. Juste parce que j’en rêvais depuis que j’étais gamin.
J’avais dit à mi-mot que j’irais occuper d’abord le bureau. J’en aurais très souvent besoin plutôt que de travailler sur cette table-ci. Elle ne semblait pas batailler pour ou me couper l’herbe sous le pied donc j’admis silencieusement qu’un pacte avait été passé et que je pouvais dédier cette salle à mon travail et mon décor.
Je me demandais à la moitié du repas une fois que le sujet avait été épuisé, quelle impression je donnais. Cette interrogation me prit la tête et me pompait mon énergie inutilement : elle me rappelait que le temps des fantasmes était terminé après que la lettre rose ait annoncé sa fin, et qu’allait tomber maintenant le moment des prières. Une subtile différence. Était-ce ma rationalité ou ma fierté qui se battait le plus ardemment pour soumettre le regard que m’adressait Jia vers une bienveillance ou même le respect ? Ma position était simple : je voulais que tout se passe bien. Point final. Mais est-ce que j’avais le caractère qu’il fallait pour parvenir à mon ambition ? Est-ce que ma patience tiendrait ? Manifestement, j’étais empli - et elle peut-être plus encore - de cette idée de bras de fer entre deux cœurs, et que le premier à avoir des sentiments perdrait. Ce n’était pas un combat dans lequel j’allais jeter mes forces, je serais heureux de le perdre s’il me rendait la vie plus douce, plus supportable… Mais est-ce que des sentiments pouvaient être débusqués dans un contexte pareil, surtout chez moi qui portait l’amour au firmament des valeurs les plus estimées, mais qui pourtant posait une prudence excessive tant que le terrain n’avait pas été complètement analysé ?
Qu’est-ce que je divaguais… Peut-être le verre de whisky que j’avais terminé bien avant et qui m’avait quelque peu embourbé le goût de mon repas… J’étais passé au champagne le temps d’accompagner l’omelette mais je me réservais pour le dessert à la fin un second verre. La fatigue mentale me prenait enfin et je me rendais compte que je n’irais pas veiller ce soir… Je m’en sentis coupable. Est-ce que le premier soir, les couples restaient ensembles éveillés toute la nuit pour échanger le plus possible ? Je m’étais pris deux jours de tranquillité après celui-ci pour prendre le temps de bien déménager avec Jia, s’ils ne servaient pas à occuper autant d’heures, je pourrais rattraper ce temps perdu ou prendre mes siestes dessus
— Je ne sais vraiment pas quoi faire, me marrais-je jaune, sans savoir si je penchais plutôt vers le soupir ou la bonne humeur. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? On doit bien s’entendre de suite, on laisse faire la monotonie ? Je suis vraiment paumé. Je pris une bouchée. Des fois, les jours avant que tu n’arrives, il suffisait que je sois un peu fatigué et j’avais l’impression que le mariage serait trop pour moi, que je ne saurais rien gérer. Puis le lendemain, après une bonne nuit de sommeil, j’étais prêt pour le défi. J’aimerais vraiment être bien. Cette dernière phrase à moitié marmonnée avait été dite plus pour moi que pour elle. J’ai écrit il y a deux ans de ça un article sur un mouvement dont je n’avais jamais entendu parler, une forme de réseau social on pourrait dire, pour des adultes qui souhaitaient une relation sans ignorer que la lettre rose en serait la fin. Donc ils s’engageaient véhément en sachant que ça ne serait pas du long-terme. C’était vraiment intéressant, ça m’avait donné envie de m’y mettre. Alors je me suis inscrit et j’ai rencontré quelqu’un qui me plaisait bien, qui s’appelait Yukiko, un peu plus âgée que moi. Je ne saurais pas trop quoi dire, il y avait ce côté réconfortant de savoir qu’on ne ferait pas sa vie avec l’autre, donc qu’on n’est pas obligés de s’investir énormément, mais il y avait aussi cette réflexion assez morbide qu’on se condamnait alors à la dernière relation avant l’Incontestable. J’ai arrêté la relation au bout de six mois. Je commençais à paniquer sur une réflexion bête, je me disais que le lien avec Yukiko prendrait une ampleur déconcertante s’il était brisé par le gouvernement, bien qu’il ait été modeste jusque-là. J’avais peur que cela devienne un symbole trop important pour moi et que cela me gâcherait le mariage. Yukiko serait devenue mes ailes et la lettre rose, toi en fait, la paire de ciseaux qui me les enlève. Enfin bon. Je me monte la tête facilement. Gorgée de champagne ; ça me faisait du bien un peu d’alcool. Quand j’avais demandé qu’on se voie pour un bar, c’était justement pour que l’alcool serve de lubrifiant social.
Je pensais que je pouvais m’ouvrir sur le sujet à Jia : je ne la voyais pas être jalouse. Nous étions mariés, mais nous n’étions pas un couple. Elle pourrait assez bien comprendre de toute manière que je n’abordais ce sujet que parce que j’étais légèrement stressé. Il fallait que ça sorte, je partageais ainsi mes pensées.

Les plus du perso :
Je suis: neutre.
Époux/se : Toson Hirai pour son plus grand bonheur (♥)
Autre: Toujours dispo pour une recherche de liens


Ou auras-tu peur ?
Et toi, Toson, de quel côté es-tu ?
Des corrompus, tordus ou assidus ?
Les lèches-culs, les ambigus ou les têtus ?
Et si un divorce était prononcé,
Pourrais-tu me promettre la priorité
En m’assurant ta loyauté ?
Et m’aimer
Sans probabilités ni ordres à respecter.
Juste pour ma merdique personnalité.
En prétendant sortir du lot, a-t-il conscience des sacrifices que cela pourrait lui coûter - ou plutôt, le haut niveau d’exigences à s’infliger pour recevoir ta confiance trop souvent trompée. Jusqu’ici, il a tout fait pour te satisfaire dans votre nouvelle relation conjugale ; de l’attitude pseudo-parentale aux blagues amicales pour faire passer cet engagement gouvernemental comme un rite jovial. C’est sûrement pour ces raisons sacramentelles, un peu sentimentales, que tu n’avais pas fait de scandale.
[…]
Après avoir tout inspecté pour repérer à quel degré tu serais mangé, tu viens le rejoindre autour de la table déjà installée comme si de rien était alors que tes craintes sont à leur apogée. Et si je ne parvenais pas à m’y habituer ? A lui ou au logement choisi ? Absorbée - voir totalement désorientée, tu n’as pas pensé à vérifier si une quelconque bouteille traînait face aux couverts dressés. Oubliée, tu aurais pu lui avouer que lorsqu’il a évoqué se charger de l’alcool que tu ne sembles pas apprécier, tu ne l’as pas cru. Il t’en aurait sûrement moins voulu... ne considérant pas ta vanne comme malvenue.
Cependant, tu préférais qu’il te considère juste comme une enfant pourrie gâtée pour le moment. Le tenir éloigné, l’exaspéré, l’insupporter pour qu’il finisse par laisser tomber et choisisse de vivre comme deux colocataires détachés ce qui te permettraient de ne pas trop t’y habituer ; refusant de te projeter avant d’en être encore séparée. Tu le sentis dans ce claquement de bouteille contre la table qu’il t’était plus aisé, à force de chercher, comment le rendre irritable. Comme le prédateur que tu affirmes incarner, tu renvoies donc l’impression d’avoir gagné à ton petit jeu attitré même si, pour ce coup, aucune chasse n’avait été entamée, aucune proie déterminée. Le mensonge était devenu une spécialité que tu maîtrisais pour dissimuler tes égarements éludés.
-J’ai dit que je n’aimais pas le whisky mais je n’ai pas dit que je n’allais pas en boire. C’est un peu comme notre mariage, non ? Il faut apprendre à se forcer et trinquer avec l’alcool qui va le plus te représenter.
A l’image de Gustave Flaubert qui disait que la vérité est tout autant dans les demi-teintes que dans les tons tranchés, tu as la certitude maintenant que tu es capable de le sortir de sa zone de platitude. Sa passivité inébranlable n’est pour l’heure plus si immuable... Sa voix éreintée semblait perdre la patience qu’il t’a accordée, au même titre que son temps t’étant dédié. A ta plus grande joie mais aussi, un peu, ton désarroi. De quoi pouvait-il être capable ? Plus rien n’étant aussi stable, l’incertitude était ce qu’il a de plus détestable.
Pourtant, c’est toujours dans la même optique de former un lien sympathique pour un avenir moins merdique qu’il te verse l’alcool demandé pour trinquer à cette coalition déséquilibrée par ton sarcasme et ton pessimisme réitéré. Même l’écho des verres rassasiés sonne d’une mauvaise tonalité mais cela ne t’a pas empêché, après avoir ressenti ton ventre gargouiller, de goûter les mets qu’il a préparé sans oublier de le remercier pour le temps consacré.
- Merci et bon appétit ! C’est vraiment bon ! Même si mon avis peut être biaisé par mes piètres talents de cuisinière... tu parles à la personne qui doit sûrement le plus consommer de plats préparés prêts à réchauffer.
Sans préciser les raisons de ton incompétence à cuisiner ni insuffler que cela est dû au fait que tu as été assistée au moment de la puberté. A se remémorer, il y avait toujours un personnel présent lorsque tu vivais dans le logement principal de tes parents mais à ton départ, ne t’étant jamais intéressée de près ou de loin à ce détail qui permet pourtant de t’alimenter et, accessoirement exister, tu n’as jamais fait les efforts nécessaires pour t’assurer de rester en bonne santé.
D’autres sujets sont abordés pendant que tu mords dans ce qui te sers d’entrée pour ce premier repas entre les jeunes mariés. Chaque bataille devant être minutieusement préparée et travaillée, tu n’avais ni la force ni l’envie de t’éparpiller sur des banalités (tu le faisais bien assez en dehors de ces temps donnés) ; n’ayant pas l’utilité d’un bureau à occuper, il pouvait bien l’aménager comme il le voulait. Cependant, lorsqu’il évoqua tes ambitions quant au matériel que tu aurais aimé te procurer, tu étais incapable d’en nommer. Sa fontaine en chocolat pouvait bien être acheté si elle suffisait à elle-seule à le combler. Toi, t’étais encore à y méditer … ne voyant pas quel objet désiré tu ne t’étais pas déjà acheté.
Rien n’y fait.
- Les objets sont les seuls choses que j’ai toujours pu acquérir alors... Je ne vois pas de quelle folie j’aurai envie mais je vais y réfléchir. lâches-tu entre deux apéros salés sans avoir cherché à l’offenser ou à lui manquer de respect.
A contrario des sentiments et des personnes que tu ne peux payer et dont certains liens ne cessent de te hanter, à commencer par les personnes qui t’ont mise au monde avant de t’abandonner. Bien sûr que tu aurais préféré être acceptée telle que tu étais au lieu de te retrouver au milieu de ces étrangers bien qu’ils soient aisés. C’est sûrement ce qui t’a le plus dégoûtée : devoir gérer ce monde qui t’a toujours méprisé. Mais encore une fois, cette semi-révélation en omettant les dessous de cette réflexion porte à confusion sur ton mode de vie et tes visions. Préméditation ou inattention, le savoir n’impacterait pas sa première impression.
Alors que le repas continue, le plat principal ayant fait sa venue, tu continues de répondre bien que tu aies rapidement retrouvé ta place en retrait. Tu continues de manger avant de boire une gorgée de premier verre échangé. Avoir du mal avec le whisky ne t’empêchait pas de l’avaler mais simplement de le savourer pour la réelle valeur qu’il dégageait. Pour un temps donné, jusqu’à ce que tu recommences à oublier. A t’oublier au fil des mots échangés et que ta garde finisse par baisser. Chacune de ses gorgées étant scrutée, l’avantage de boire un alcool que tu n’as jamais apprécié est que tu pouvais encore compter sur la sobriété. C’est sûrement ce qui te permettait de ne pas craquer. Ne pas lâcher ta fragilité après la première journée mais ça, c’est uniquement parce que ce n’était pas ton premier. A y réfléchir, toi aussi par le passé, tu t’es servi de tes états d’ivresse pour étouffer ta détresse.
A ses questionnements sur la suite des événements, tu l’écoutes déballer les sentiments qui l’ont submergé en t’attendant. Tu aurais presque trouvé ça touchant, un sourire d’apaisement venant prouver ce petit effet de courte durée jusqu’à ce que la réception du courrier sacré soit à nouveau mentionné. N’ayant jamais entendu parler de ce réseau social auparavant, tu réalises à quel point le monde peut être vaste lorsqu’il n’est pas restreint. Pas de jalousie ni de contrariété lorsque le journaliste évoque sa relation passée si ce n’est des questions plus poussées.
Tu n’as pas de regrets ?
Mais cette interrogation sera vite remplacée par une mise en garde contre les désillusions pouvant troubler votre relation.
-Direct et sentimental à ce que je vois. Mais à force d’idéaliser ce système autoritaire et délétère, tu risques la déception... La paire de ciseau, comme une chenille, pourrait ne jamais se transformer en ailes –ou en papillon. Pire encore, le ciseau pourrait te couper toi sans que tu n’aies jamais pu voler et ne puisse désormais plus jamais le vivre... Tu t’en seras alors privé pour rien.
Surtout, tu me mets un poids sur mes épaules déjà affaissées... on risque à tout moment de tomber.
Incertaine de ta capacité à pouvoir un jour représenter les ailes de quelqu’un d’autre, tu préfèrerais qu’il change rapidement d’apôtre. Bien que la boisson alcoolisée dût avoir sa part dans ses allégations prononcées, tu veux en profiter pour lâcher ta conception idéalisée du mariage parfait - ou du leurre inventé par ton cœur blessé pour t’autorassurer et le laisser se panser sans risquer de se retrouver à nouveau éventré. Qu’importe tant que l’un et l’autre, lui et toi, toi et moi, puissiez cohabiter en harmonie sans asymétrie... quitte à supprimer toutes les raisons pouvant justifier un comportement excédant, à commencer par d’éventuels sentiments.
-Tu m’as demandé si j’ai déjà ressenti de la tendresse pour mon précédent mari cet après-midi.. Je ne sais pas si tu t’en souviens mais j’y ai réfléchi sur le trajet. Je dirai qu’aimer de façon passionnée serait une erreur dans le mariage car l’amour amène des attentes, de la colère, de la peine... L’introduction lâchée, tu n’as d’autres choix que de continuer après avoir comblé ce besoin imminent de se désaltérer. Le whisky semblait d’un coup moins mauvais. Ainsi, pour assurer une bonne entente comme deux voisins à long terme, la solution serait sûrement de ne jamais s’aimer et ainsi se protéger soi-même et sa relation. Le risque le plus grand dans ce type de mariage ordinaire sans amour serait que l’un des protagonistes tombe amoureux provoquant ainsi le divorce mais dans notre cas, cela ne peut pas arriver.
Pour avoir déjà aimé et donné, bien que cela ne semblait assez aux partenaires concernés pour te reprocher ton comportement distant, tu sais à quel point tu es troublée et affectée par chaque détail insignifiant t’obligeant à te contrôler continuellement. C’est souvent à ce moment-là, fatiguée et éreintée de te battre contre la forteresse que tu t’es créée, que les autres finissent par tomber en te laissant emprisonnée dans la tour dans laquelle tu t’es enfermée.
Néanmoins, pour une fois, tu ne semblais pas être la seule à vouloir se protéger. Même si le brun semblait être le plus enclin à t’appréhender, avouant même qu’il a rejeté une relation pour patienter sur la personne qui lui sera désignée, il s’est retenu d’aimer pour éviter d’être blessé et t’en inculper la responsabilité. A-t-il toujours été fonctionné ainsi ? Réelle intrusion à tes propres restrictions, ton intérêt finit par dépasser les barrières que tu t’es fixées.
- Mais une question me chiffonne ; tu n’es donc jamais tombé amoureux avant la réception de la lettre rose ?
Va savoir pourquoi je veux m’en assurer. Moi-même j’ignore en quoi ta réponse peut m’impacter ou changer ce que j’ai déjà pu clamer ou la façon dont je me suis comportée. Cela ne va rien changer... Seulement, je ressens le besoin de te l’entendre dire pour que mon sarcasme ne se mettent pas à tiédir. Je dois d’abord me protéger avant de vouloir t’épargner bien que cela ne serait que par pitié, sois-en assuré.
Ou est-ce toi qui est juste besoin de calmer ta nervosité.
Alors, lorsque sa réponse finit par tomber, tu t’entends involontairement souffler bruyamment. Soulagée, tu peux reprendre une bouchée et terminer la crêpe salée que tu as adorée et que tu as déjà complimentée à ta façon [un peu déformée]. Les couverts posés sur l’assiette à nettoyer, tu commences à te lever pour t’emparer de la sienne sur ton trajet. C’est la moindre des choses pour le remercier et lui témoigner un peu de réciprocité... sous-entendant peut-être une forme de respect inexprimé.
- Pour ce qui est du reste de la soirée, il faut juste dormir côte à côte cette nuit. Préparant à checker la liste des devoirs à cocher, tu poses la vaisselle empilées sur le plan de travail pour lèver ton pouce et commencer à les compter en t’assurant n’avoir rien oublié. Nous avons déjà fait l’activité commune en partageant un repas, j’ai emménagé et nous avons échangé un baiser. Je n’ai rien oublié ? Trois doigts levés, tout semblait complet mais tu voulais attendre qu’il ait confirmé pour reprendre le choix des possibilités pour la poursuite de cette soirée. Rien d’autre n’a besoin de nous lier pour aujourd’hui. Il nous reste plus qu’à planifier notre future monotonie à partir de demain... à quelle heure le baiser pour ne pas oublier, quelle activité et chacun pourra aller dans ses quartiers.
C’était la meilleure option que tu avais à proposer pour que chacun puisse être congédié.
Alors pourquoi j’ai l’impression de te décevoir, encore, à travers ton regard. Qu’attends-tu de moi exactement ?
De l’animosité plus que tu n’aurais aimé lui en témoigner ; il était lui-même une victime de ce devoir controversé le privant de sa liberté. Surtout tu n’avais rien à lui reprocher... si ce n’est d’avoir voulu vous épargner une cellule encrassée vous rendant sûrement plus hostile à un colloque improvisé. Le repas préparé, deux bouteilles d’alcool pour tranquilliser les cœurs damnés.
Et alors entame un combat mental dans lequel tu n’es pas certaine de gagner à la loyale ; la culpabilité, copine de la redevabilité, adore s’immiscer pour te traquer et t’empêcher de vivre comme tu l’aimerais. La même qui t’a fait débarquer ici, en pleine nuit. Abdiquée, cela t’arrive plus souvent que tu l’aimerais. C’est comme ça qu’en voyant les deux supposés cadavres encore dressés, à te rappeler que ton époux a trimé pour les rassembler et que tu en as à peine bu qu’un verre durant le diner, tu finis par lâcher définitivement la vaisselle sans la nettoyer ni la ranger pour attraper les responsables de la calamité qui est en train de se préparer.
Les deux bouteilles, sujet de votre légère querelle, viennent t’accompagner jusqu’à la table basse disposée devant le canapé et laquelle tu ne tardes pas à les déposer.
- Toi qui voulais qu’on apprenne à se connaître, ramène tes fesses avec nos deux verres si tu veux qu’on se fasse un petit jeu.
Imprévisible et loin d’être paisible, pour ne pas dire incompréhensible, tu t’assoies en tailleur avec une certaine raideur solennelle pour lui exposer ton idée. A lui de l’accepter ou de la réfuter mais aucune autre ne lui sera proposée.
- Un petit «action ou vérité », « ceci cela » ou « je n’ai jamais », je te laisse choisir le support. La règle est que si la réponse est insatisfaisante ou dure plus que 3 secondes, le joueur doit boire une gorgée d’alcool si ça te va... Et puis, on pourra toujours dire que, si un jour l’activité commune n’est pas réalisée à 23 heures, ça pourrait devenir notre rituel de secours pour nous éviter la taule alors autant faire un entrainement. Ca te va
Comme un exercice d’évacuation incendie,
C’est à force de répéter
Les gestes à mémoriser, les règles à respecter,
Que le procédé pourra être reconduit.
Du moins, c’est ce que tu te dis
Pour justifier ta proposition
Et tes jeux à la con ;
Avoir un alibi pour rejeter toute possibilité d’empathie.
Code par KoalaVolant

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